Page:Thackeray - La Foire aux Vanites 2.djvu/45

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qu’il avait portée contre lui, il ne voulait pas avouer ses regrets du trop rapide accomplissement de ses menaces.

Parfois saisi d’une terreur subite, il frissonnait de tous ses membres, comme si une voix accusatrice lui reprochait le malheur qu’il avait appelé sur la tête de son fils. Jusqu’alors la réconciliation lui était apparue comme une vague et lointaine espérance ; la femme de son fils pouvait mourir : l’enfant prodigue pouvait rentrer au foyer domestique, et dire : « Mon père, j’ai péché. » Mais maintenant plus rien. Son fils était à l’autre bord du gouffre que l’on franchit pour l’éternité.

Plus il se rappelait le terrible accès de fièvre auquel chacun avait cru que son fils ne pourrait résister, il le voyait encore sur son lit, sans voix, sans mouvements, les yeux d’une fixité effrayante. Comme il s’attachait alors aux pas du docteur, comme il interrogeait ses moindres gestes avec une navrante anxiété ; et quelle joie dans son cœur, après la fin de cette terrible crise, quand son fils eut repris ses sens, quand il rouvrit les yeux pour voir son père, pour le reconnaître par un regard de tendresse. Tandis que maintenant, plus rien, pas même cette dernière espérance qui n’abandonne pas au chevet du malade condamné ; plus rien qu’un corps froid et inanimé, dont il n’avait plus à attendre les paroles de soumission que réclamait son orgueil irrité, son autorité froissée et méconnue. Car, chose pénible à dire, le cœur du vieil Osborne souffrait avant tout de la pensée que son fils l’avait quitté sans implorer son pardon, et que sa vanité n’avait plus désormais d’excuses à espérer de lui.

Le malheureux vieillard succombait sous le faix de cette grande infortune, sans avoir personne à qui ouvrir son cœur. On ne l’entendit pas prononcer une seule fois le nom de son fils ; il ordonna à l’aînée de ses filles de faire prendre le deuil à toute la maison. La demeure des Osborne, si joyeuse autrefois, ne devait plus de longtemps retentir des cris de fêtes et de plaisir. Il ne dit rien à son futur gendre, pour le mariage duquel on avait déjà pris jour ; celui-ci avait lu dans les traits de M. Osborne qu’il n’y avait point à le questionner, ni à hâter l’époque de la cérémonie. On se contentait d’en parler tout bas dans le salon, où le père de famille ne paraissait plus, comme s’il eût craint de donner dans ces épanchements du cœur une marque de faiblesse ou d’y trouver une condamnation de sa