Page:Thackeray - La Foire aux Vanites 2.djvu/450

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leur résidence définitive. Toutes les prétentions du baronnet à la pairie étaient maintenant dissipées, sir Pitt ayant perdu ses deux siéges au parlement. Cette catastrophe avait bouleversé à la fois sa fortune et sa tête ; sa santé même en était atteinte, et il ne cessait de prophétiser la chute prochaine du Royaume-Uni.

Lady Jane et mistress Dobbin étaient les meilleures amies du monde. Les voitures étaient toujours en route pour le château ou pour Ever-Greens, résidence du colonel. Lady Jane fut la marraine de l’enfant de mistress Dobbin ; elle lui donna son nom, et il fut baptisé par le révérend James Crawley, qui avait succédé à son père dans sa cure de Crawley. Une très-étroite amitié se forma entre George et Rawdon, qui chassèrent ensemble pendant les vacances et entrèrent en même temps au collége de Cambridge. Il s’éleva entre eux, comme cela ne pouvait manquer, une rivalité d’amour à l’occasion de la fille de lady Jane. Depuis longtemps les deux mères caressaient un projet de mariage entre George et la jeune fille, bien que les préférences de cette dernière penchassent du côté de son cousin.

Jamais le nom de mistress Crawley n’était prononcé dans ces deux familles : on en comprend facilement la raison. Rebecca ne quittait plus M. Joseph Sedley et le suivait dans toutes ses excursions. Et quant à ce gros et gras personnage, il s’était mis entièrement à la discrétion de cette femme. Les hommes de loi du colonel l’avertirent que son beau-frère avait placé des sommes considérables dans une tontine, et qu’il avait sans doute pris ce moyen afin d’avoir de l’argent pour payer ses dettes. Jos demanda une prolongation de congé à la Compagnie des Indes, et il allait du reste dépérissant de jour en jour.

Amélia, à la nouvelle de ces placements, en conçut de vives inquiétudes et pria son mari de faire le voyage de Bruxelles, où se trouvait Joseph, pour l’interroger sur l’état de ses affaires. Le colonel partit avec une certaine répugnance, car il était alors tout occupé par son histoire du Punjâb, qui l’occupe encore, et fort inquiet de la santé de sa petite-fille, alors en convalescence d’une rougeole. Il partit néanmoins pour Bruxelles et y trouva Jos, qui vivait dans un des plus somptueux hôtels de la ville. Mistress Crawley, qui occupait un autre appartement dans le même hôtel, avait voiture, donnait des fêtes et menait une existence de luxe et de prodigalités.