Page:Thackeray - La Foire aux Vanites 2.djvu/86

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échoués sur la plage, les passants continueront leur chemin sans jeter un regard de commisération, ou, ce qui est pis encore, viendront nous tendre dédaigneusement un doigt et prendre à notre égard des airs protecteurs. Puis, derrière nous, nous entendrons nos amis murmurer à demi-voix :

« C’est un pauvre diable que ses imprudences et ses folles entreprises ont réduit à l’état que vous voyez. »

Mais du reste consolez-vous à la pensée que ce n’est pas une voiture ou trois mille livres de rentes qui nous mettront plus en état d’obtenir la récompense qui est la fin de cette vie, ni d’affronter le jugement de Dieu. Si les charlatans réussissent, si les escrocs et les coquins font leurs affaires, et si, par contre, les plus honnêtes gens sont le jouet de la mauvaise fortune, je dis qu’il ne faut pas s’en plaindre ni attacher aux plaisirs et aux joies de la Foire aux Vanités plus de prix qu’ils ne méritent, car il est probable que… Mais laissons là cette digression pour revenir à notre histoire.

Si mistress Sedley avait eu un peu d’énergie, le désastre de son mari était une occasion pour elle d’en faire preuve ; elle aurait loué une vaste maison pour y recevoir des locataires. Le vieux Sedley eût rempli le rôle de mari de l’hôtesse, il eût été le seigneur en titre, avec les fonctions d’écuyer tranchant, de majordome, comme mari de la reine du comptoir. Mais mistress Sedley n’avait pas assez d’énergie pour savoir se créer des ressources dans le malheur, et restait inerte et sans mouvement sur les écueils où la tempête l’avait jetée. L’infortune des deux vieillards était donc irréparable et sans remède.

Ils vivaient, du reste, sans souffrir de cet abaissement ; peut-être même étaient-ils plus fiers encore dans leur misère que dans leurs jours de prospérité. Mistress Sedley restait toujours une grande dame pour son hôtesse mistress Clapp, quand par hasard elle lui faisait l’honneur de descendre dans sa cuisine bien proprette et bien brillante. Les chapeaux et les rubans de la bonne Irlandaise, Betty Flanagan, son insolence, sa paresse, sa prodigue consommation de chandelles, de thé et de sucre étaient pour la vieille dame une distraction presque aussi absorbante que la tenue de son ancienne maison, lorsqu’elle avait à ses ordres son nègre, son cocher, son groom, son valet de pied, son maître d’hôtel et toute une légion de femmes pour la servir. C’était là, du reste, des souvenirs que la brave dame