Page:Thackeray - La Foire aux vanites 1.djvu/117

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

possible, et ne songea plus, dans ce but, qu’à se faire des amis de tous ceux qui, autour d’elle, pouvaient contribuer à son confort.

Milady Crawley n’était point de ce nombre. Il y avait chez elle une telle mollesse, une telle apathie de caractère, que dans sa maison la pauvre dame comptait comme zéro. Rebecca reconnut bien vite qu’il était aussi inutile de rechercher sa bienveillance qu’impossible de l’obtenir. Devant ses élèves elle ne l’appelait jamais que leur pauvre maman, et, tout en témoignant à cette dame un froid respect, c’était surtout au reste de la famille qu’elle adressait avec une profonde diplomatie la plus grande part de ses attentions.

Avec ses jeunes élèves, dont elle se concilia tout à fait les bonnes grâces, sa méthode était des plus simples. Elle ne surchargeait point leur jeune cerveau de trop de science ; au contraire, elle les laissait s’élever à leur fantaisie. Quelle instruction est plus efficace que celle qu’on acquiert par soi-même ? L’aînée avait un penchant particulier pour la lecture, et, comme la vieille bibliothèque de Crawley-la-Reine possédait un nombre considérable de livres du dernier siècle, français et anglais, d’une littérature légère (c’était une emplette du secrétaire des sceaux et parchemins pendant sa disgrâce), sans que personne songeât à les déranger de leurs rayons, Rebecca, de la manière la plus agréable et sans beaucoup de peine, était à même de faire faire de grands progrès à l’instruction de miss Rose Crawley.

Elle lisait avec miss Rose de délicieux ouvrages anglais et français, au nombre desquels on peut citer ceux du savant docteur Smollett, de l’ingénieux M. Henry Fielding, du gracieux et fantastique M. Crébillon le fils, tant admiré de notre immortel Gray, enfin de l’encyclopédique M. de Voltaire. M. Crawley demanda un jour quel ouvrage elles lisaient alors :

« Smollett, répondit l’institutrice.

— Oh ! Smollett, reprit M. Crawley avec un air fort satisfait ; son histoire est moins animée, mais bien moins dangereuse que celle de M. Hume. C’est donc de l’histoire que vous lisez ?

— Oui, » dit miss Rose, sans ajouter cependant que c’était celle du chevalier de Faublas.

En une autre occasion, comme il se montrait tout scandalisé