Page:Thackeray - La Foire aux vanites 1.djvu/130

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comme si c’était l’ordinaire de toute l’année ; nous avons des bougies de cire dans la salle d’études et du feu pour nous chauffer. Lady Crawley met sa robe la plus splendide, et mes élèves quittent leurs gros souliers et leurs jupes de tartan vieilles et écourtées pour porter des bas de soie et des robes de mousseline, comme il convient aux élégantes demoiselles d’un baronnet.

Rose est rentrée hier dans un état épouvantable. Le cochon de Wiltshire, un de ses favoris, et des plus gros, je vous assure, l’a jetée par terre et a mis en pièces sa robe de soie à fleurs lilas en se roulant dessus. Si cela était arrivé la semaine passée, sir Pitt aurait juré de la plus effroyable façon et allongé les oreilles de la pauvre petite en la mettant au pain et à l’eau pour un mois. Il s’est contenté de dire : « Nous réglerons cela, mademoiselle, après le départ de votre tante. » Et il a pris en plaisanterie cet accident assez bouffon. Espérons que son courroux sera dissipé avant le départ de miss Crawley.

Quel admirable élément de paix et de concorde que l’argent !

Un merveilleux effet de la présence de miss Crawley avec ses soixante-dix mille livres se manifeste surtout dans la conduite des deux frères Crawley, le baronnet et le ministre, qui se détestent pendant toute l’année et se montrent les meilleurs amis du monde à la Noël.

Je vous ai écrit l’an dernier comme quoi cet abominable ministre avait l’habitude de décocher contre nous, à l’église, ses sermons ridicules, et comment sir Pitt y répondait par d’énormes ronflements. Dès que miss Crawley arrive ici, il n’est plus question de se chamailler ; le château rend visite au presbytère, et vice versa. Le ministre et le baronnet parlent cochons, braconniers et affaires du comté avec la bouche en cœur et sans jamais se quereller, même après boire. C’est que miss Crawley a déclaré qu’elle ne voulait point de disputes, et qu’elle laisserait son argent aux Crawley de Shropshire, si on la contrariait. S’ils étaient des gens d’esprit, ces Crawley de Shropshire, ils pourraient tout avoir. Mais le Crawley de Shropshire est un ministre comme son cousin du Hampshire, et il a mortellement offensé miss Crawley par ses allures de collet monté ; elle est venue ici dans un accès de rage contre son intolérance. Il aura, sans doute, j’imagine, voulu faire la prière le soir.

Le livre de sermons est fermé quand miss Crawley arrive, et M. Pitt, qu’elle déteste, ne trouve rien de mieux que de partir