Page:Thackeray - La Foire aux vanites 1.djvu/268

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vantage, à moins que la flotte française ne juge à propos de venir le bombarder.

« Voilà une petite qui est diablement belle, dans cette maison, au-dessus des modistes, dit un des promeneurs à son voisin ; hein, Crawley, avez-vous vu comme elle m’a fait de l’œil quand je suis passé ?

— N’allez pas la blesser au cœur, Joe, mauvais sujet que vous êtes, répliqua l’autre ; n’allez pas ainsi badiner avec les affections féminines, monsieur le Don Juan.

— Laissez-moi, » reprit Joe Sedley fort satisfait et jetant à la bonne des œillades assassines. Joe était encore plus brillant à Brighton qu’au mariage de sa sœur. Il avait un choix de gilets du dernier goût dont un seul eût suffi pour contenter un dandy plus modeste. Il portait un habit d’uniforme orné de brandebourgs, de franges et de boutons, mais avec des broderies tortueuses comme le Méandre. Il affectait un costume militaire et toutes les allures de l’emploi, se promenait avec ses deux amis, tous deux officiers dans l’armée, faisait sonner ses bottes à éperons en l’honneur de toutes les servantes qu’il jugeait dignes de ses regards meurtriers.

— Qu’allons-nous faire, mes enfants, jusqu’au retour de ces dames ? » demanda notre lion.

Ces dames étaient allées faire une promenade en voiture à Rottingdean.

« Nous pourrions jouer au billard, reprit un de ses amis, le grand aux moustaches cirées.

— Non, diable ! non, capitaine, » répliqua Joe un peu alarmé, pas de billard aujourd’hui, Crawley, mon garçon ; c’est bien assez d’y avoir joué hier.

— Cependant vous avez un coup de queue admirable, dit Crawley en riant ; n’est-ce pas, Osborne ? comme il est fort avec son fameux coup de cinq ?

— Très-fort, reprit Osborne, Joe est un rude jouteur au billard, sans compter le reste. Je voudrais bien qu’il fût possible de chasser le tigre dans les environs ; nous serions allés en tuer quelques-uns avant dîner. — Tenez, la jolie fille, quelle jambe. Joe ! — Racontez-nous donc l’histoire de votre chasse au tigre, et de l’entrevue que vous avez eue avec lui dans les fourrés de l’Inde. Ah ! Crawley, voilà une bien merveilleuse histoire. »