Page:Thackeray - La Foire aux vanites 1.djvu/324

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Mistress Sedley se rendit donc dans ces profondeurs pour faire préparer un thé remarquable par sa magnificence. Chacun exprime sa tendresse à sa façon ; la meilleure pour mistress Sedley était de bourrer sa chère Amélia de gâteaux et de salade d’oranges servie dans une coupe de cristal.

Tandis qu’on s’occupait de la confection des susdites friandises dans les parties basses de la maison, Amélia quittait le salon, montait l’escalier et se retrouvait sans savoir trop comment, dans la petite pièce qui lui avait servi de chambre avant son mariage, dans ce même fauteuil où elle avait passé de si longues heures d’angoisses et d’amertume. Elle éprouva le délicieux plaisir que l’on ressent à revoir un vieux camarade. Puis ses pensées l’entraînèrent vers la semaine à peine écoulée, et peu à peu elle revint sur son passé. Rechercher dans le passé les souvenirs heureux, qui contrastent douloureusement avec le présent ; gémir sur ses espérances de bonheur évanouies et remplacées par le doute et la souffrance, tel était le sort de cette pauvre et infortunée créature, de cette brebis errante au milieu des luttes et des presses de la Foire aux Vanités.

Assise dans son vieux fauteuil, elle se rappelait avec tout son enthousiasme d’autrefois cette image de George, objet de ses confiantes et premières adorations. Fallait-il donc s’avouer maintenant la différence entre la réalité et les traits imaginaires du héros devant lequel elle eût volontiers jadis brûlé de l’encens ? Pour réduire à une pareille extrémité la vanité de la femme qui vous aime et qui vous choisit, il faut ordinairement bien des années et bien des trahisons… Les yeux verts et perçants de Rebecca, son sourire sinistre venaient ensuite remplir d’effroi la craintive Amélia. Elle resta plongée dans le vague de ces méditations, dans ces rêveries mélancoliques, les mêmes où l’avait trouvée l’honnête Irlandaise lorsqu’elle lui apporta la lettre qui contenait les nouvelles protestations de George et sa nouvelle demande en mariage.

Ses yeux étaient fixés sur ce petit lit bien lisse et bien blanc où naguère reposait encore sa tête de jeune fille ! Mais il avait cessé d’être à elle. Alors elle se prenait à penser au plaisir qu’elle aurait à y dormir encore, à s’éveiller comme autrefois sous les regards souriants de sa mère. Elle songeait avec terreur à ce grand catafalque de damas qui s’élevait comme un tombeau dans cette vaste et sombre pièce où elle devait passer