Page:Thackeray - La Foire aux vanites 1.djvu/355

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

néant les puissants attraits de la major ; le chroniqueur affirme que, de toute la soirée, il lui échappa à peine un mot sur Glen-Malony.

« Quand donc renoncerez-vous au jeu, suivant vos promesses mille fois répétées ? disait Dobbin à George, quelques jours après cette soirée à l’Opéra.

— Et vous, quand aurez-vous fini vos sermons, lui répondit son ami. Que diable ! je ne vois pas là de motifs de vous tourmenter si fort ; nous jouons un jeu très-modéré. D’ailleurs j’ai gagné la nuit dernière. Croyez-vous donc que Crawley me triche ? En jouant toujours un jeu égal, les pertes et les gains se compensent à la fin de l’année.

— Mais s’il perd il ne vous payera pas, » dit Dobbin.

Son conseil eut le sort qu’ils avaient tous d’ordinaire. Osborne et Crawley étaient les deux inséparables ; le général Tufto dînait souvent en ville, et George était toujours le bienvenu dans les appartements que l’aide de camp et sa femme occupaient à l’hôtel, tout à côté de ceux du général.

La première querelle entre George et Amélia faillit venir de l’ennui et de la gêne qui perçaient, pendant la durée de ces visites chez les Crawley, dans les traits et les manières de sa femme. George la gronda beaucoup de sa répugnance manifeste à aller voir une ancienne amie, du ton fier et dédaigneux qu’elle prenait avec mistress Crawley. La pauvre Amélia ne dit rien, mais les regards irrités de son mari, les coups d’œil inquisiteurs de Rebecca redoublèrent sa gaucherie et son embarras à la visite suivante.

Rebecca ne s’en montrait que plus prévenante, ne voulant pas faire semblant de s’apercevoir des froideurs de son amie.

« On dirait qu’Emmy est devenue plus fière depuis que le nom de son père a pu se lire dans la… depuis les malheurs de M. Sedley, reprit-elle en adoucissant charitablement sa phrase pour l’oreille de George. À Brighton, elle me faisait l’honneur d’être jalouse de moi, et maintenant elle se scandalise sans doute de nous voir vivre en commun, moi, Rawdon et le général. Eh ! mon Dieu ! nos propres ressources ne pourraient nous suffire si un ami ne se mettait de moitié avec nous dans la dépense. Croit-elle donc que Rawdon n’est pas de taille à avoir soin de mon honneur ? En vérité, j’en suis fort reconnaissante pour Emmy, oh ! oui, excessivement reconnaissante !