Page:Thackeray - La Foire aux vanites 1.djvu/38

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
24
LA FOIRE AUX VANITÉS

jour à cette occupation. Son valet faisait sa fortune des rebuts de sa garde robe, et sur sa toilette on trouvait plus de pommades et plus d’essences que n’en employa jamais une beauté décrépite. Pour avoir bonne tournure dans son habit, il avait recours à toutes les sangles, brides et ceintures alors inventées. Comme tous les hommes gras, il exigeait que ses habits fussent trop étroits, et recherchait les plus brillantes couleurs et la coupe la plus jeune. Lorsqu’il s’habillait dans l’après-midi, c’était pour aller au Park, tout seul, faire sa promenade en voiture, puis il rentrait pour s’habiller de nouveau et aller dîner, encore tout seul, au café Piazza. Il était aussi vain qu’une fille, et peut-être cette extrême sauvagerie venait-elle de son extrême vanité. Si miss Rebecca, dès son entrée dans le monde, peut venir à bout de lui, c’est qu’elle est une jeune personne d’une rare habileté.

Son premier début prouvait d’ailleurs une grande adresse. En disant que Sedley était bel homme, elle savait qu’Amélia le répéterait à sa mère, qui le redirait probablement à Joseph, et de toute manière ne lui en voudrait pas du compliment fait à son fils. Toutes les mères sont les mêmes.

Allez dire à Stycorax que son fils Caliban est aussi beau qu’Apollon, elle en sera flattée dans son amour-propre de sorcière.

Peut-être aussi Joseph Sedley avait-il surpris le compliment au passage. Rebecca avait parlé assez haut pour cela ; et, s’il l’avait entendu, comme déjà dans son opinion il se tenait pour un très-beau garçon, cet éloge avait dû caresser chacune des fibres de sa grasse personne et les faire tressaillir de plaisir. Mais il lui vint une amère pensée : « La petite fille se moquerait-elle de moi ? » songea-t-il. Voilà pourquoi il s’était aussitôt élancé vers la sonnette, se disposant à la retraite, comme nous l’avons vu, quand les plaisanteries de son père et les instances de sa mère le contraignirent à rester au logis. Il conduisit la jeune demoiselle à la salle à manger, l’esprit en proie aux plus vives incertitudes. « Croit-elle réellement que je suis beau, pensa-t-il, ou seulement s’amuse-t-elle de moi ? » Nous avons dit que Joseph Sedley était aussi vain qu’une jeune fille. Nous savons bien que les jeunes filles retournent la médaille et disent d’une personne de leur sexe : « elle est vaine comme un homme », et elles ont bien raison. Le sexe barbu est aussi âpre à la