Page:Thackeray - La Foire aux vanites 1.djvu/406

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« L’infortunée, dit-elle en roulant entre l’index et le pouce le coupable billet, avec cela je pourrais la rendre bien malheureuse ! Dire qu’elle a la bonté de se torturer le cœur pour un être pareil, un sot, un fat, qui la néglige et la dédaigne ! Mon pauvre Rawdon, tout bête qu’il est, vaut dix fois plus. »

Alors elle se mit à réfléchir sur ce qu’elle aurait à faire si… s’il arrivait quelque malheur au pauvre Rawdon. Il avait eu une bien bonne idée de lui laisser ses chevaux.

Mistress Crawley qui, dans le courant du jour, avait eu le regret de voir les Bareacres trouver les moyens de partir, songea à son tour à prendre les mêmes précautions que la comtesse. À l’aide de quelques coups d’aiguille, elle mit en sûreté la meilleure partie de ses bijoux, billets et bank-notes, et se trouva ainsi prête à tout événement, soit qu’elle se décidât à prendre la fuite ou à attendre de pied ferme les vainqueurs anglais ou français. Tandis que Rawdon, enveloppé dans son manteau, bivouaque au mont Saint-Jean par une pluie battante et pense de toutes les forces de son âme à sa chère petite femme, qui pourrait affirmer que celle-ci ne songe pas, dans un cas donné, à devenir Mme  la maréchale et à se décorer d’un titre de duchesse ?

Le lendemain, qui était un dimanche, mistress la major O’Dowd eut la satisfaction de voir que le repos bienfaisant de la nuit avait rendu le calme et le courage à ses deux malades. Elle-même avait pris quelque sommeil sur le grand fauteuil de la chambre d’Amélia, toute prête à courir auprès de son amie ou de l’enseigne, suivant que l’un ou l’autre aurait réclamé ses soins. Dans la matinée, elle se rendit à sa demeure pour procéder à sa toilette avec toute la recherche et l’élégance qu’exigeait la solennité du jour. Il est fort possible que se trouvant seule dans cette chambre qu’elle avait partagée avec son mari, que, voyant le bonnet de coton du pauvre Mick encore sur l’oreiller et sa canne dans un coin, elle ait adressé ses prières au ciel pour le brave soldat.

Elle rapporta avec elle son livre de prières et le fameux recueil des sermons de son oncle le doyen ; elle n’y comprenait trop rien à la vérité, et ne prononçait même pas très-correctement tous ces mots barbares et abstraits, mais elle n’aurait pour rien au monde manqué à sa lecture des dimanches.

« Que de fois, mon cher Mick, pensait-elle, a écouté avec