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CHAPITRE II.

Le Snob royal.


Il y a déjà longtemps de cela, c’était au commencement du règne de notre gracieuse souveraine, par un beau soir d’été, comme diraient les poètes, il se trouva que trois ou quatre jeunes cavaliers vidaient une bouteille dans un hôtel du royal village de Kensington, tenu par mistress Anderson, et portant pour enseigne : aux Armes du roi. L’air était embaumé des parfums du soir, et nos voyageurs purent assister à une scène des plus joyeuses. Les vieux ormes de l’avenue du parc, à l’opulente ramée, formaient la haie aux nombreux équipages qui, dans un tourbillon rapide, portaient la noblesse anglaise au palais voisin. Le duc de Sussex, qui naguère encore trouvait à peine dans ses revenus modestes le moyen d’offrir quelques thés, donnait alors à sa royale nièce un festin de prince. Quand les carrosses de la noblesse eurent déposé leur contenu dans la cour du palais, les chasseurs et les laquais vinrent vider un flacon de bière brune dans les jardins des Armes du roi.

Ils étaient à quelques pas de nous. De notre tonnelle nous pouvions tout à notre aise observer ces drôles. Par saint Boniface, c’était un rare coup d’œil !

Les tulipes du jardin de maître Van Dunk n’ont pas de couleurs plus éclatantes que les livrées de cette valetaille bigarrée. Toutes les fleurs des champs semblaient fleurir sur ces poitrines émaillées, toutes les nuances de l’arc-en-ciel resplendissaient sur ces culottes de peluche ; quelques-uns, armés de longues cannes, allaient et venaient dans les jardins avec une majesté ravissante et faisaient montre de leurs gras de jambes avec cet orgueil satisfait qui a toujours le don d’exercer sur nous une irrésistible fascination : les allées n’étaient pas assez larges pour les contenir,