Page:Thackeray - Mémoires de Barry Lyndon.djvu/100

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M. Fakenham trouva moyen d’obtenir d’aller à l’hôpital ; et pendant qu’il était à l’hôpital, l’affaire s’arrangea comme je l’avais recommandé. Il avait failli néanmoins compromettre son succès par sa lésinerie en concluant le marché, et il ne me témoigna aucune reconnaissance, à moi son bienfaiteur.

Je ne vais pas donner une relation romanesque de la guerre de Sept ans. Lorsqu’elle se termina, l’armée prussienne, si renommée pour sa valeur et sa discipline, avait pour officiers et sous-officiers des Prussiens, mais se composait, pour la plus grande partie, d’hommes achetés ou volés, comme moi, dans presque toutes les nations de l’Europe. La désertion y était prodigieuse. Dans mon seul régiment (celui de Bulow), avant cette guerre-ci, il n’y avait pas moins de six cents Français ; et comme ils sortaient de Berlin pour entrer en campagne, un d’eux avait un mauvais violon sur lequel il jouait un air français, et ses camarades dansaient plutôt qu’ils ne marchaient à sa suite, chantant : « Nous allons en France. » Deux années après, lorsqu’ils revinrent à Berlin, il ne restait plus que six de ces hommes ; le reste avait fui ou était mort sur le champ de bataille. La vie que menait le simple soldat était effroyable pour tout autre que des gens d’une patience et d’un courage de fer. Il y avait par chaque trois hommes un caporal, marchant derrière eux et usant de la canne impitoyablement, à tel point qu’on disait que dans l’action il y avait un premier rang de soldats et un second rang de sergents et de caporaux pour les pousser en avant. Beaucoup d’hommes s’abandonnaient aux actes les plus terribles de désespoir sous ces persécutions et ces tortures incessantes, et dans plusieurs régiments de l’armée il avait surgi un horrible usage qui, pendant quelque temps, causa la plus grande alarme au gouvernement : c’était l’étrange et abominable coutume de l’infanticide. Les hommes disaient que la vie était intolérable, que le suicide était un crime, et qu’afin de l’éviter et d’en finir avec l’insupportable misère de leur position, le meilleur moyen était de tuer un petit enfant, qui, étant innocent, était sûr d’aller au ciel, et, le meurtre commis, d’aller se livrer à la justice. Le roi lui-même, ce héros, ce sage, ce philosophe, ce prince qui avait toujours la libéralité sur les lèvres, et qui affectait l’horreur de la peine capitale, fut effrayé de cette redoutable protestation des malheureux qu’il avait fait enlever contre sa tyrannie, et son seul moyen de remédier au mal fut de défendre strictement que ces sortes de criminels fussent assistés d’aucun ecclésiastique, et de les priver de toute consolation religieuse.

Les punitions étaient incessantes. Chaque officier était libre