Page:Thackeray - Mémoires de Barry Lyndon.djvu/113

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visage était un affreux sourire immobile qui ne plaisait nullement.

Ce fut fort imprudent à moi ; mais quand je vis la splendeur de son aspect, la noblesse de ses manières, il me fut impossible de garder mon déguisement avec lui ; et lorsqu’il dit : « Ah ! vous êtes Hongrois, à ce que je vois ! » je n’y tins plus.

« Monsieur, dis-je, je suis Irlandais, et mon nom est Redmond Barry de Ballybarry. » À ces mots, je fondis en larmes ; je ne saurais dire pourquoi ; mais je n’avais vu aucun membre de ma famille depuis six ans, et mon cœur avait soif d’en voir un.



CHAPITRE VIII.

Barry dit adieu à la profession militaire.


Vous qui n’êtes jamais sorti de votre pays, vous ne savez pas ce que c’est que d’entendre une voix amie dans la captivité, et bien des gens ne comprendront pas la cause de l’explosion de sensibilité que j’ai confessé avoir eu lieu à la vue de mon oncle. Il ne pensa pas une minute à mettre en question la vérité de ce que je disais, « Mère de Dieu ! s’écria-t-il, c’est le fils de mon frère Harry ! » Et je crois du fond du cœur qu’il était aussi affecté que moi en retrouvant d’une manière si subite un de ses parents ; car lui aussi il était exilé, et une voix amie lui remettait en mémoire son ancien pays et les jours de son enfance.

« Je donnerais cinq ans de ma vie pour les revoir encore, dit-il après m’avoir fait de chaudes caresses.

— Voir quoi ? lui dis-je.

— Eh mais, répliqua-t-il, les champs verts, et la rivière, et la vieille tour ronde, et le cimetière de Ballybarry. Ce fut honteux à votre père, Redmond, de se défaire d’une terre qui avait si longtemps porté notre nom. »

Il se mit alors à me faire des questions sur moi-même, et je lui contai mon histoire assez au long, dont le digne gentilhomme se prit à rire à plusieurs reprises, disant que j’étais un Barry de la tête aux pieds. Au milieu de mon récit, il m’arrêta pour me demander de me mesurer avec lui, dos à dos (par quoi je constatai que nous étions de même taille, et que mon oncle avait, de plus que moi, un genou roide qui le faisait marcher d’une manière