Page:Thackeray - Mémoires de Barry Lyndon.djvu/13

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monies. Mais la population qui entourait notre vieille maison de Barryogue, quoiqu’elle n’aimât point mon père à cause de son changement de religion, se déclara néanmoins pour lui en ce moment, et voulait exterminer les pleureurs envoyés par M. Plumer, de Londres, avec les dépouilles mortelles. Le monument et le caveau, dans l’église, étaient alors, hélas ! tout ce qui restait de mes vastes possessions ; car mon père avait vendu jusqu’au dernier baliveau de la propriété à un certain Notley, un procureur, et nous ne reçûmes qu’un froid accueil dans sa maison, qui était une misérable vieille masure[1].

La splendeur des funérailles ne manqua pas d’accroître la réputation de la veuve Barry comme femme de cœur et comme femme à la mode, et lorsqu’elle écrivit à son frère Michael Brady, ce digne gentilhomme traversa aussitôt tout le pays pour la serrer dans ses bras, et l’inviter au nom de sa femme à venir au château de Brady.

Mick et Brady s’étaient querellés, comme font tous les hommes, et avaient échangé de gros mots pendant que Barry faisait la cour à miss Bell. Lorsqu’il l’enleva, Brady jura qu’il ne pardonnerait jamais ni à Barry ni à Bell ; mais étant venu à Londres dans l’année 46, il se réconcilia avec Roaring Harry, et demeura dans sa belle maison de Clarges-Street, et perdit quelques pièces contre lui au jeu, et cassa la tête à un ou deux watchmen en sa compagnie ; souvenirs qui rendirent Bell et son fils très-chers au bon gentilhomme, et il les reçut à bras ouverts. Mistress Barry ne fit pas d’abord, et peut-être fut-elle sage, connaître à ses parents quelle était sa position ; mais arrivant dans un grand carrosse doré, avec d’énormes armoiries, elle fut prise par sa belle-sœur et par le reste du comté pour une personne d’une fortune considérable et d’une haute distinction.

Pour un temps donc, et comme il était juste et convenable, mistress Barry donna le ton au château de Brady. Elle faisait marcher les domestiques, et leur apprenait, ce dont ils avaient grand besoin, un peu de la bonne tenue qu’on a à Londres ; et l’Anglais Redmond, comme on m’appelait, était traité comme un petit lord, et avait pour lui une servante et un laquais, et

  1. Dans une autre partie de ses Mémoires on verra M. Barry décrire cette maison comme un des plus splendides palais de l’Europe ; mais c’est une habitude qui n’est pas rare chez sa nation ; et quant à la principauté irlandaise dont il se targue, il est connu que le grand-père de M. Barry était procureur et fut l’artisan de sa propre fortune.