Page:Thackeray - Mémoires de Barry Lyndon.djvu/143

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

vous exposez que vous êtes son héritier, et demande la confirmation du fait. Le dernier paquet, adressé à S. A. le duc héréditaire, ajoutai-je en le regardant très-sévèrement, renferme l’émeraude de Gustave-Adolphe, qu’il a donnée à la princesse, et que vous m’avez remise en gage comme un joyau de famille à vous. Votre influence sur la princesse doit être grande en effet, dis-je en concluant, puisque vous avez pu lui extorquer un joyau tel que celui-là, et puisque vous lui avez, afin de payer vos dettes de jeu, fait livrer un secret d’où dépend votre tête à tous les deux.

— Scélérat ! dit le Français tout éperdu de rage et de terreur, voudriez-vous impliquer la princesse dans tout ceci ?

— Monsieur de Magny, répondis-je en ricanant, non, je dirai que vous avez volé ce joyau. »

C’était mon opinion qu’il l’avait fait, et que la malheureuse et infatuée princesse n’avait eu connaissance de ce vol que longtemps après qu’il avait été commis. La manière dont nous étions venus à connaître l’histoire de l’émeraude est assez simple : comme nous avions besoin d’argent (car le temps que je passais avec Magny faisait que notre banque était fort négligée), mon oncle avait porté les bijoux de Magny à Manheim pour les mettre en gage. Le juif qui prêta de l’argent dessus savait l’histoire de la pierre en question ; et quand il demanda comment la princesse avait pu s’en dessaisir, mon oncle, fort habilement, prit l’histoire, où il la trouvait, dit que Son Altesse aimait beaucoup le jeu, qu’il ne lui était pas toujours commode de payer, et que c’était ainsi que l’émeraude était venue dans nos mains. Il la rapporta sagement à S… ; et, quant aux autres bijoux que le chevalier nous avait donnés en gage, ils n’avaient rien qui les distinguât ; aucune question n’avait été faite à leur sujet jusqu’à ce jour ; et non-seulement je ne savais pas qu’ils vinssent de Son Altesse, mais je ne puis aujourd’hui encore faire que des conjectures à leur égard.

L’infortuné jeune homme devait avoir l’âme bien lâche, de n’avoir pas, quand je l’accusai de vol, fait usage de mes deux pistolets qui se trouvaient par hasard devant lui, pour envoyer hors de ce monde et son accusateur et sa misérable personne ; avec une imprudence et une insouciance si déplorables de sa part et de celle de la malheureuse femme qui s’était oubliée pour ce triste gredin, il aurait dû savoir que la découverte était inévitable. Mais il était écrit que cette terrible destinée s’accomplirait ; au lieu de finir en homme, il fila doux devant moi, tout à fait démoralisé, et, se jetant sur le sofa, fondit en larmes,