Page:Thackeray - Mémoires de Barry Lyndon.djvu/144

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en appelant d’un air effaré tous les saints à son aide, comme s’ils pouvaient s’intéresser au sort d’un tel misérable.

Je vis que je n’avais rien à craindre de lui ; et, rappelant Zamore, mon nègre, je lui dis que je porterais moi-même les paquets, que je remis dans mon secrétaire ; et mon but étant ainsi atteint, j’agis, comme je fais toujours, généreusement envers lui. Je dis que, pour plus de sûreté, j’enverrais l’émeraude hors du pays ; mais que je m’engagerais sur l’honneur à la rendre à la duchesse, sans aucune condition pécuniaire, le jour où elle m’obtiendrait le consentement du souverain à mon union avec la comtesse Ida.

Ceci expliquera assez clairement, je m’en flatte, le jeu que je jouais ; et, bien que quelque rigide moraliste en puisse contester la loyauté, je dis que tout est légitime en amour, et que des hommes aussi pauvres que moi ne peuvent pas se permettre de tant faire les difficiles sur les moyens de réussir dans la vie. Les grands et les riches sont accueillis avec un sourire sur le grand escalier du monde ; celui qui est pauvre, mais ambitieux, doit grimper par-dessus le mur, ou se frayer des pieds et des mains un passage par l’escalier de derrière, ou, pardi, se hisser par quelque conduit de la maison, si sale et si étroit qu’il puisse être, pourvu qu’il mène en haut. Le paresseux sans ambition prétend que la chose n’en vaut pas la peine, se refuse entièrement à la lutte, et se décerne le nom de philosophe. Je dis que c’est un poltron sans énergie. À quoi est bonne la vie sans l’honneur ? et l’honneur est si indispensable, que nous devons l’acquérir n’importe comment.

La manière dont Magny devait opérer sa retraite fut proposée par moi, et fut réglée de façon à ménager la délicatesse des deux parties. D’après mon avis, Magny prit à part la comtesse Ida, et lui dit : « Madame, quoique je ne me sois jamais déclaré votre adorateur, le comte et vous avez eu des preuves suffisantes de mon estime pour vous ; et ma demande, je le sais, eût été appuyée par Son Altesse, votre auguste tuteur. Je sais que le gracieux désir du duc est que mes attentions soient reçues favorablement ; mais comme le temps n’a pas paru modifier votre attachement pour un autre, et que j’ai trop de fierté pour forcer une dame de votre nom et de votre rang à s’unir à moi contre son gré, le meilleur plan est que je vous fasse, pour la forme, une proposition non autorisée par Son Altesse, que vous y répondiez, comme je regrette de penser que votre cœur vous le dicte, négativement ; sur quoi, je me désisterai ainsi en forme de mes prétentions sur vous, en déclarant qu’après un refus,