Page:Thackeray - Mémoires de Barry Lyndon.djvu/152

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tait un vaste bâtiment, et qui contenait toute une population de nobles serviteurs de la famille) ; mais l’infatué jeune fou ne voulut pas bouger, quoiqu’il n’eût pas même l’excuse de l’amour. « Comme elle louche, disait-il de Son Altesse, et comme elle est contrefaite ! Elle croit que personne ne s’aperçoit de sa difformité. m’écrit des vers pris dans Gresset ou dans Crébillon, et s’imagine que je les crois originaux. Bah ! ils ne sont pas plus à elle que ses cheveux ! » C’était de cette manière que ce jeune misérable dansait sur l’abîme qui s’ouvrait sous lui. Je crois que son principal plaisir, en faisant la cour à la princesse, était de pouvoir écrire ses victoires à ses amis des petites maisons de Paris, où il se mourait d’être considéré comme un bel esprit et un vainqueur de dames.

Voyant l’insouciance de ce jeune homme et le danger de sa position, je devins très-désireux que mes petits projets arrivassent à une conclusion satisfaisante, et je le pressai vivement à ce sujet.

Mes sollicitations auprès de lui avaient, je n’ai pas besoin de le dire, par la nature de nos rapports, généralement assez de succès ; et, dans le fait, le pauvre garçon n’avait rien à me refuser, comme je le lui disais souvent en riant, à sa médiocre satisfaction. Mais j’employais plus que des menaces, ou que la légitime influence que j’avais sur lui. J’employais la délicatesse et la générosité : j’en puis citer pour preuve la promesse que je fis de rendre à la princesse cette émeraude de famille dont j’ai parlé dans le dernier chapitre, et que j’avais gagnée au jeu à son peu scrupuleux adorateur

Ce fut du consentement de mon oncle, et ce fut un de ces actes ordinaires de sagesse et de prévoyance qui distinguent cet habile homme. « Pressez l’affaire maintenant, Redmond, mon enfant, me recommandait-il. Cette intrigue entre la princesse et Magny doit finir mal pour tous deux, et cela bientôt, et alors quelle chance aurez-vous d’obtenir la comtesse ? Voici l’instant ! Faites capituler la place avant la fin du mois, et nous laisserons là notre banque, et nous vivrons en seigneurs dans notre château de Souabe. Débarrassez-vous ici de cette émeraude, ajouta-t-il ; s’il arrivait un accident, ce serait une vilaine chose à trouver dans nos mains. » Ce fut ce qui me décida à renoncer à la possession de ce joyau, dont, je dois l’avouer, il me coûtait de me dessaisir. Ce fut un bonheur pour nous que je l’eusse fait, comme vous allez voir.

Pendant ce temps-là, donc, je pressais Magny : je parlai moi-même à la comtesse de Liliengarten, qui me promit for-