Page:Thackeray - Mémoires de Barry Lyndon.djvu/155

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Toute la compagnie se sépara à cette étrange nouvelle, et nous cessâmes notre banque pour ce soir-là. Magny avait été assis près de moi pendant le jeu (mon oncle donnait les cartes, et moi je payais et prenais l’argent), et en regardant sous sa chaise j’y trouvai un papier froissé, que je ramassai et que je lus. C’était celui qu’on lui avait remis, et il était conçu en ces termes :

« Si vous l’avez fait, prenez le cheval de l’ordonnance qui vous apporte ceci. C’est le meilleur de mon écurie ; il y a cent louis dans chaque fonte, et les pistolets sont chargés. L’une ou l’autre voie vous est ouverte ; vous savez ce que je veux dire. Dans un quart d’heure, je saurai notre sort… si je dois être déshonoré et vous survivre, si vous êtes coupable et lâche, ou si vous êtes encore digne du nom de

« M… »

C’était l’écriture du vieux général de Magny ; et mon oncle et moi, comme nous rentrions chez nous après avoir fait et partagé avec la comtesse Liliengarten des bénéfices qui ne laissaient pas que d’être considérables ce soir-là, nous sentîmes notre triomphe plus que compromis par le contenu de cette lettre.

« Magny, nous demandâmes-nous, a-t-il volé le juif, ou son intrigue a-t-elle été découverte ?

Dans les deux cas, mes prétentions sur la comtesse Ida étaient menacées d’un sérieux échec ; et je commençais à me dire que mon grand coup de partie était joué et peut-être perdu.

Eh bien, il était perdu ; mais je soutiens, jusqu’à ce jour, qu’il fut bien et vaillamment joué. Après souper (nous ne soupions jamais pendant le jeu, de peur des conséquences), je devins si inquiet de ce qui se passait, que je résolus de sortir vers minuit et de m’informer dans la ville du motif réel de l’arrestation de Magny. Une sentinelle était à la porte, et me signifia que mon oncle et moi nous étions prisonniers.

Nous fûmes laissés six semaines dans notre logement, gardés de si près, que l’évasion était impossible si nous en avions eu l’idée ; mais, étant innocents, nous n’avions rien à craindre. La vie que nous menions n’était un secret pour personne, et nous désirions et appelions l’examen. Il arriva pendant ces six semaines de grands et tragiques événements qui, bien que nous en eussions appris la substance, comme fit toute l’Europe, lorsque nous sortîmes de notre captivité, étaient loin de nous être connus dans tous leurs détails, que je restai encore bien des années sans savoir. Les voici tels qu’ils me furent racontés par la