Page:Thackeray - Mémoires de Barry Lyndon.djvu/167

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tait pas encore ouvertement en disgrâce (car le duc, par égard pour sa famille, persistait à n’accuser Magny que de vol), fit les efforts les plus désespérés pour lui venir en aide et pour obtenir à prix d’argent son évasion. Elle avait la tête tellement troublée qu’elle perdit toute espèce de patience et de prudence dans la conduite des plans qu’elle pouvait former pour la délivrance de Magny, car son mari était inexorable et faisait garder le chevalier de trop près pour que l’évasion fût possible. Elle offrit de mettre en gage les joyaux de la couronne entre les mains du banquier de la cour, qui, comme de raison, fut obligé de décliner l’offre. Elle tomba, dit-on, aux genoux de Geldern, le ministre de la police, et lui proposa Dieu sait quoi pour le corrompre. Finalement, elle vint pousser des cris auprès de mon pauvre cher duc, que son âge, ses maladies et ses habitudes paisibles rendaient tout à fait incapable de supporter des scènes d’une nature si violente et qui, par suite de l’émotion soulevée dans son auguste sein par cette douleur frénétique, eut un accès dans lequel je fus bien près de le perdre. Que ses précieux jours aient été abrégés par cette affaire, je n’en fais aucun doute ; car le pâté de Strasbourg, dont on a dit qu’il mourut, ne lui aurait pas fait de mal, j’en suis sûre, sans le coup qu’avaient porté à son cher et doux cœur les événements inusités auxquels il avait été forcé de prendre part.

« Tous les mouvements de la princesse étaient soigneusement, quoique non ostensiblement, surveillés par son mari, le prince Victor, qui, allant trouver son auguste père, lui signifia sévèrement que si Son Altesse (mon duc) osait aider la princesse dans ses efforts pour délivrer Magny, lui, prince Victor, accuserait publiquement la princesse et son amant de haute trahison, et prendrait des mesures avec la Diète pour faire descendre son père du trône comme incapable de régner. Ceci paralysa toute intervention de notre part, et Magny fut abandonné à sa destinée.

« Elle se termina, comme vous savez, fort subitement. Geldern, le ministre de la police, Hengst, le grand écuyer, et le colonel de la garde du prince, se rendirent auprès du jeune homme, dans sa prison, deux jours après que son grand-père l’y était venu voir et lui avait laissé la fiole de poison que le criminel n’eut pas le courage de prendre ; et Geldern signifia au jeune homme que, s’il ne prenait de lui-même l’eau de laurier fournie par le vieux Magny, des moyens de mort plus violents seraient instantanément employés contre lui, et qu’un détachement de grenadiers attendait dans la cour pour l’expédier.