Page:Thackeray - Mémoires de Barry Lyndon.djvu/187

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disaient-ils. Pouah ! le grossier aventurier ! Au diable l’insupportable fat, le chevalier d’industrie ! » et autres propos semblables. Cette haine ne m’a pas rendu de médiocres services dans le monde ; car lorsque je mets la main sur quelqu’un, rien ne peut me décider à lâcher prise ; et on me laisse le champ libre, ce qui n’en vaut que mieux. « Caliste (je l’appelais Caliste dans ma correspondance), Caliste, je te jure par la candeur immaculée de ton âme, par l’inaltérable éclat de tes yeux, par tout ce qu’il y a de pur et de chaste dans le ciel et dans ton cœur, que je ne cesserai jamais de te suivre ! Le mépris, je puis le supporter, et l’ai supporté de toi. L’indifférence, je puis la surmonter ; c’est un rocher que mon énergie saura gravir, un aimant qui attire mon intrépide âme de fer ! » Et c’était vrai, je n’aurais pas renoncé à elle, non, quand on m’aurait jeté à coups de pieds à bas de l’escalier chaque jour que je me serais présenté à sa porte.

C’est ma manière de fasciner les femmes. Que l’homme qui a sa fortune à faire se rappelle cette maxime : Attaquer est l’unique secret. Osez, et le monde cède toujours ; ou s’il vous bat quelquefois, osez de nouveau, et il succombera. À cette époque, mon énergie était si grande, que si je me fusse mis en tête d’épouser une princesse du sang, je l’aurais eue !

Je racontai mon histoire à Caliste, et j’altérai peu, très-peu la vérité. Mon objet était de l’effrayer, de lui montrer que ce que je voulais, je l’osais ; que ce que j’osais, je l’obtenais ; et il y avait assez de passages frappants dans mon histoire pour la convaincre de ma volonté de fer et de mon indomptable courage. « N’espérez pas m’échapper, madame, disais-je ; faites mine d’épouser un autre homme, et il meurt sous cette épée, qui n’a jamais encore rencontré son maître. Fuyez-moi et je vous suivrai, fût-ce aux portes de l’enfer ! » Je vous promets que c’était là un langage fort différent de celui qu’elle avait été habituée à entendre de la bouche de ses fades adorateurs. J’aurais voulu que vous vissiez comme j’écartai d’elle ces muguets !

Quand je disais de cette façon énergique que je suivrais lady Lyndon par delà le Styx s’il était besoin, comme de juste je n’entendais le faire que dans le cas où il ne se présenterait rien de plus sortable dans l’intervalle. Si Lyndon ne mourait pas, à quoi bon poursuivre la comtesse ? Et je ne sais comment, vers la fin de la saison de Spa, à ma grande mortification, je l’avoue, le chevalier eut l’air de vouloir faire un nouveau bail ; il semblait que rien ne le tuerait. « J’en suis fâché pour vous, capitaine Barry, disait-il en riant comme de coutume. Je suis dé-