Page:Thackeray - Mémoires de Barry Lyndon.djvu/199

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assassinaient s’il n’en était pas tenu compte. Le célèbre capitaine Thunder (tonnerre) était la terreur des comtés du sud, et son affaire était de marier les hommes qui n’avaient pas suffisamment le moyen de plaire aux parents des jeunes personnes, ou qui, peut-être, n’avaient pas le temps de faire une cour longue et compliquée.

J’avais trouvé mon cousin Ulick à Dublin, devenu très-gras et très-pauvre ; pourchassé par les juifs et les créanciers ; habitant toutes sortes de coins étranges, d’où il sortait au tomber de la nuit pour se rendre au château, ou aller faire sa partie de cartes à la taverne : mais c’était toujours un courageux garçon, et je lui touchai un mot de l’état de mon cœur au sujet de lady Lyndon.

« La comtesse de Lyndon ! dit le pauvre Ulick ; eh bien ! voilà qui est merveilleux. J’ai moi-même été très-tendre pour une jeune personne, une Kiljoy de Ballyhack, qui a dix mille livres sterling de fortune, et dont Sa Seigneurie est tutrice ; mais comment un pauvre diable tel que moi, sans un habit sur le dos, peut-il réussir auprès d’une héritière en pareille compagnie ? Je pourrais tout aussi bien aspirer à la comtesse elle-même.

— Vous ferez mieux de vous abstenir, dis-je en riant ; l’homme qui l’essayera court la chance de sortir du monde auparavant. »

Et je lui expliquai mes propres intentions sur lady Lyndon ; et l’honnête Ulick, dont la considération pour moi était prodigieuse depuis qu’il me voyait cette magnifique apparence et apprenait combien merveilleuses avaient été mes aventures et grande mon expérience de la vie fashionable, fut confondu d’admiration pour mon audace et mon énergie, quand je lui confiai mon projet d’épouser la plus grande héritière d’Angleterre.

Je dis à Ulick de sortir de la ville sous le prétexte qu’il voudrait, et de mettre à la poste qui est près de Castle-Lyndon une lettre dont l’écriture fut par moi contrefaite, et dans laquelle j’avertissais solennellement lord Georges Poynings de quitter le pays, disant que ce grand butin n’avait jamais été destiné à ses pareils, et qu’il y avait assez d’héritières en Angleterre, sans venir les prendre sur les domaines du capitaine Fireball. La lettre était écrite sur un sale morceau de papier et de la plus mauvaise orthographe. Milord la reçut par la poste, et, étant un jeune homme plein de cœur, il ne fit qu’en rire, comme de raison.

Son malheur voulut qu’il se montrât à Dublin fort peu de temps après, qu’il fût présenté au chevalier Redmond Barry, à la table du lord-lieutenant, qu’il allât avec lui et plusieurs autres gentils-