Page:Thackeray - Mémoires de Barry Lyndon.djvu/201

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l’ai décrit dans le dernier chapitre, les progrès que le jeune Poynings avait faits dans son affection, et son oubli de son ancien admirateur, et, en retour, j’eus une lettre pleine d’excellentes suggestions dont j’eus soin de profiter.

L’aimable chevalier commençait par dire qu’il était pour l’instant logé au couvent des frères mineurs de Bruxelles, qu’il avait quelque idée d’y faire son salut, et, se retirant pour toujours du monde, de se consacrer aux plus sévères pratiques de la religion. En attendant, il m’écrivait au sujet de la charmante veuve. Il était naturel qu’une personne de son immense fortune, et dont l’extérieur n’était point désagréable, eût beaucoup d’adorateurs autour d’elle ; et, comme du vivant de son mari elle n’avait pas du tout montré de répugnance à recevoir mes hommages, je ne devais faire aucun doute que je n’étais pas le premier qu’elle eût ainsi favorisé, et que vraisemblablement je ne serais pas le dernier.

« Je voudrais, mon cher enfant, ajoutait-il, que ce vilain attainder qui me tient par le cou, et la résolution que j’ai prise de me retirer tout à fait d’un monde de péché et de vanité, ne m’empêchât pas de vous venir, de ma personne, en aide dans cette crise délicate ; car, pour la mener à bonne fin, il ne suffit pas de l’indomptable courage, rodomontade, audace, que vous possédez plus qu’aucun jeune homme que j’aie jamais connu (quant à la rodomontade, comme le chevalier l’appelle, je la nie du tout au tout, ayant toujours été très-modeste dans mon maintien) ; mais, quoique vous ayez la vigueur d’exécution, vous n’avez pas l’esprit ingénieux qui suggère des plans de conduite à suivre dans une affaire qui menace d’être longue et difficile. Auriez-vous jamais songé à ce brillant projet de la comtesse Ida, qui a été si près de vous donner la plus grande fortune de l’Europe, sans l’avis et l’expérience d’un pauvre vieillard, qui règle ses comptes avec le monde, et est sur le point de s’en retirer pour tout de bon ?

« Eh bien ! quant à ce qui est de la comtesse Lyndon, votre mode de conquête est à présent tout à fait en l’air pour moi, et je ne puis vous conseiller jour par jour comme je voudrais pouvoir le faire, selon les circonstances qui surviennent. Mais votre plan général doit être celui-ci. Si je me souviens bien des lettres que vous receviez d’elle à l’époque de la correspondance que cette bête de femme entretenait avec vous, il a été échangé entre vous de grandes phrases de sentiment, et Sa Seigneurie vous a surtout écrit elle-même ; c’est un bas-bleu, et elle aime à écrire ; les griefs qu’elle avait contre son mari étaient (comme c’est l’usage des femmes) le thème continuel de sa correspondance. Je