Page:Thackeray - Mémoires de Barry Lyndon.djvu/206

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reller, et d’avoir cet abominable duel, » répondit l’ecclésiastique.

Mais ma mère lui coupa la parole en disant que ce genre de conduite pouvait être fort bon pour une personne de sa profession et de sa naissance, mais qu’il ne convenait ni à un Brady ni à un Barry. Dans le fait, elle était ravie de l’idée que j’avais blessé en duel le fils d’un marquis anglais : je lui racontai donc, pour la consoler, une vingtaine d’autres affaires que j’avais eues, et dont le lecteur connaît déjà quelques-unes.

Comme mon ex-antagoniste ne courait aucun danger quand je répandis le bruit de sa périlleuse situation, je n’avais aucun motif particulier pour que ma réclusion fût très-rigoureuse. Mais la veuve ne savait pas le fait aussi bien que moi ; elle fit barricader sa maison, et Becky, sa servante aux pieds nus, était perpétuellement en sentinelle pour donner l’alarme en cas que les gens de police vinssent faire des perquisitions.

La seule personne que j’attendisse, toutefois, était mon cousin Ulick, qui devait m’apporter l’agréable nouvelle de l’arrivée de lady Lyndon ; et j’avoue qu’après deux jours d’étroite réclusion à Bray, dans lesquels j’avais raconté à ma mère toutes les aventures de ma vie, et réussi à lui faire accepter les robes qu’elle avait refusées précédemment, et une addition considérable que je fus enchanté de faire à son revenu, je fus fort enchanté quand je vis ce réprouvé d’Ulick Brady, comme l’appelait ma mère, arriver à la porte dans ma voiture avec l’agréable nouvelle, pour ma mère, que le jeune lord était hors de danger, et, pour moi, que la comtesse de Lyndon était à Dublin.

« Je voudrais, Redmond, que ce jeune gentilhomme eût été en danger un peu plus longtemps, dit la veuve, ses yeux s’emplissant de larmes : vous en seriez resté d’autant plus avec votre pauvre mère. » Mais je séchai ses larmes en l’embrassant chaudement et promis de la voir souvent, et lui donnai à entendre que j’aurais peut-être bien une maison à moi et une noble fille pour la recevoir.

« Qui est-elle, cher Redmond ? dit la vieille dame.

— Une des plus nobles et des plus riches femmes de l’empire, mère, répondis-je. Assez, Brady, pour cette fois, » ajoutai-je en riant ; et, sur ces espérances, je laissai mistress Barry dans les meilleures dispositions.

Personne n’est moins rancunier que moi ; et lorsqu’une fois j’en suis arrivé à mes fins, je suis la plus paisible créature du monde. Je fus une semaine à Dublin avant de juger nécessaire de quitter cette capitale. Je m’étais tout à fait réconcilié avec