Page:Thackeray - Mémoires de Barry Lyndon.djvu/222

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— Qu’est-ce que c’est ? » dit l’enfant, commençant à pleurer ; il n’avait que onze ans, et son courage avait été parfait jusque-là.

« Vous n’êtes qu’à deux milles de Marino. Retournez sur vos pas jusqu’à ce que vous arriviez à une grosse pierre, puis tournez à droite, et allez toujours tout droit jusqu’à ce que vous rencontriez la grande route, et alors vous trouverez aisément votre chemin. Et quand vous verrez milady votre maman, offrez-lui les compliments du capitaine Thunder, et dites-lui que miss Amalia Kiljoy va se marier.

— Oh ! ciel ! » soupira la jeune personne.

La voiture repartit rapidement, et le jeune seigneur fut laissé seul sur la bruyère, juste comme le matin commençait à poindre. Il fut pris d’une belle et bonne peur, et cela n’a rien d’étonnant : l’idée lui vint de courir après la voiture, mais son courage et ses petites jambes lui firent défaut, et il s’assit sur une pierre et pleura de dépit.

Ce fut de cette façon qu’Ulick Brady fit ce que j’appelle un mariage de Sabine. Lorsqu’il s’arrêta avec ses deux garçons d’honneur au cottage où la cérémonie devait avoir lieu, M. Runt, le chapelain, refusa d’abord de la célébrer. Mais un pistolet fut braqué sur la tête de cet infortuné précepteur, et il lui fut dit, avec de terribles serments, qu’on lui ferait sauter la cervelle, et alors il consentit à faire le service. La charmante Amalia avait, bien probablement, cédé à un motif semblable, mais de cela je n’ai rien su ; car je revins en ville avec le cocher aussitôt que nous eûmes déposé les gens de la noce, et j’eus la satisfaction de trouver Fritz, mon Allemand, arrivé avant moi dans ma voiture et sous mon costume, ayant quitté le bal sans avoir été découvert, et s’y étant acquitté de son rôle conformément à mes ordres.

Le pauvre Runt revint le lendemain dans un piteux état, gardant le silence sur la part qu’il avait prise aux événements de la soirée ; et avec une lugubre histoire d’avoir été grisé, d’avoir été arrêté, d’avoir été laissé pieds et poings liés sur la route et ramassé par une charrette de Wicklow qui apportait des provisions à Dublin. Il n’y avait pas moyen de l’accuser d’être du complot. Le petit Bullingdon, qui parvint aussi à retrouver sa maison, ne pouvait en aucune façon m’avoir reconnu. Mais lady Lyndon savait que j’avais pris part à la chose, car je rencontrai Sa Seigneurie le lendemain qui se rendait en toute hâte au Château, l’enlèvement ayant mis toute la ville en l’air. Et je la saluai avec un sourire si diabolique, que je vis bien qu’elle avait deviné ma participation à ce plan hardi et ingénieux.