Page:Thackeray - Mémoires de Barry Lyndon.djvu/251

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moi et Sa Seigneurie ; et il n’était pas de plan d’ambition que je pusse proposer auquel elle ne souscrivît dans l’intérêt du pauvre garçon, pas de dépenses qu’elle n’approuvât avec empressement, si elles pouvaient tendre le moins du monde à le mettre en meilleure position. Je puis vous dire qu’il y eut des gens achetés, et dans de hauts emplois, qui plus est, si près de la royale personne de Sa Majesté, que vous seriez étonné si je citais les grands personnages qui daignèrent accepter notre argent. Je fis faire par les hérauts anglais et irlandais une description et une généalogie détaillée de la baronnie de Barryogue, et demandai respectueusement à être réintégré dans les titres de mes ancêtres, et aussi à être gratifié de la vicomté de Ballybarry. « Cette tête siérait bien à une couronne, » disait parfois milady dans ses moments de tendresse, en passant la main sur mes cheveux ; et, en effet, il y a plus d’un blanc-bec à la chambre des lords qui n’a ni ma tournure, ni mon courage, ni ma généalogie, ni aucun de mes mérites.

Je considère mes efforts pour obtenir cette pairie comme une des plus malheureuses de mes malheureuses affaires de cette époque. Je fis des sacrifices inouïs pour y arriver, je prodiguai l’argent ici et les diamants là. Je payai des terres dix fois leur valeur ; j’achetai à des prix ruineux des tableaux et des objets de curiosité ; je donnais sans cesse des festins splendides aux gens favorables à mes prétentions, qui, étant auprès de la personne du roi, paraissaient en passe de les faire réussir. Je perdis plus d’un pari contre les ducs, frères de Sa Majesté ; mais oublions ces choses, et que mes griefs privés ne me fassent pas manquer au respect que je dois à mon souverain.

La seule personne que je nommerai dans cette transaction, c’est ce vieux chenapan et escroc de Gustave-Adolphe, treizième comte de Crabs. Ce seigneur était un des gentilshommes de la chambre du roi, et sur un pied de grande intimité avec ce vénéré monarque. Cette familiarité avait pris naissance du temps du vieux roi, où Son Altesse Royale, le prince de Galles, jouant au volant avec le jeune lord sur le perron du grand escalier à Kew, dans un moment d’irritation jeta à coups de pieds, du haut en bas des degrés, le jeune comte, qui, en tombant, se cassa la jambe. Le profond repentir qu’eut le prince de sa violence le porta à se lier étroitement avec celui qui en avait été victime ; et quand Sa Majesté monta sur le trône, il n’y eut personne, dit-on, dont le comte de Bute fût aussi jaloux que de milord Crabs. Ce dernier était pauvre et dissipateur, et Bute, pour s’en débarrasser, l’envoya en ambassade en Russie et ail-