Page:Thackeray - Mémoires de Barry Lyndon.djvu/254

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coce en tout ; dès l’âge le plus tendre, il contrefaisait tout le monde ; à cinq ans, il tablait et buvait son verre de vin de Champagne avec le meilleur d’entre nous ; et sa bonne lui apprenait de petits airs français et les dernières chansons de Vadé et de Collard, et c’étaient, ma foi, de bien jolies chansons ; et cela faisait éclater de rire ceux de ses auditeurs qui comprenaient le français, et scandalisait, je vous en réponds, quelques-unes des oreilles des vieilles douairières qui étaient admises dans la société de ma femme : ce n’est pas qu’il y en eût beaucoup, car je n’encourageais pas les visites de ce que vous appelez les personnes respectables chez lady Lyndon. Ce sont de cruels trouble-fêtes, des colporteuses d’histoires, des envieuses, des esprits étroits, semant la zizanie entre mari et femme. Toutes les fois qu’un de ces graves personnages en paniers et hauts talons faisait son apparition à Hackton ou dans Berkeley-square, mon grand plaisir était de les mettre en fuite ; à mon instigation, mon petit Bryan dansait, chantait, faisait le diable à quatre, et je l’aidais moi-même à effaroucher les vieilles radoteuses.

Je n’oublierai jamais les solennelles remontrances de notre vieux magister de recteur à Hackton, qui fit une ou deux vaines tentatives pour enseigner le latin au petit Bryan, et qui avait d’innombrables enfants auxquels je permettais quelquefois à mon fils de se réunir. Ils apprenaient de Bryan quelques-unes de ses chansons françaises, que leur mère, une pauvre âme qui entendait mieux les conserves de vinaigre et les œufs au lait que la langue française, les encourageait chaudement à chanter ; mais qui, étant venues un jour aux oreilles du père, furent causes qu’il consigna miss Sarah dans sa chambre pour une semaine, au pain et à l’eau, et fouetta solennellement master Jacob en présence de tous ses frères et sœurs, et de Bryan, à qui il espéra que cette correction servirait de leçon. Mais mon petit vaurien s’en prit à coups de pieds, à coups de poings, aux jambes du vieux ministre, qui fut obligé de le faire tenir par son sacristain, et il jura corbleu, morbleu, ventrebleu, que son jeune ami Jacob ne devait pas être maltraité. Après cette scène, Sa Révérence interdit le rectorat à Bryan ; sur quoi je jurai que son fils aîné, qui se destinait à l’état ecclésiastique, n’aurait jamais le bénéfice de Hackton, que j’avais songé à lui donner après son père ; et celui-ci dit, d’un air cafard que je déteste, que la volonté du ciel fût faite ; qu’il ne voudrait pas pour un évêché que ses enfants fussent désobéissants ou corrompus ; et il m’écrivit une lettre pompeuse et solennelle, lardée de citations latines, pour prendre congé de moi et de ma maison. « Je le fais à regret, ajoutait