Page:Thackeray - Mémoires de Barry Lyndon.djvu/30

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velle, et vous pouvez être sûr que Nora elle-même la tint secrète ; ce ne fut que par hasard que je la découvris.

Vous dirai-je comment ? La friponne était venue me voir un jour, que j’étais au lit sur mon séant, et en convalescence, et elle était si animée et si gracieuse et bonne pour moi, que mon cœur déborda de joie, et que ce matin-là j’eus même pour ma pauvre mère un mot aimable et un baiser ; je me sentais si bien que je mangeai tout un poulet, et promis à mon oncle, qui était venu me voir, d’être prêt, pour l’ouverture de la chasse, à l’accompagner, comme c’était ma coutume.

Le surlendemain était un dimanche, et j’avais pour ce jour-là un projet que j’étais déterminé à réaliser, en dépit de tous les docteurs et des injonctions de ma mère, qui étaient que je ne devais pour aucun motif quitter la maison, attendu que l’air frais me serait mortel.

Or, j’étais couché merveilleusement tranquille, composant une pièce de vers, la première que j’aie faite de ma vie, et je les donne ici avec l’orthographe dans laquelle ils furent écrits à cette époque où je n’en savais pas davantage. Et quoiqu’ils ne soient pas aussi polis et élégants que « Ardélia, soulage un malheureux berger, » et, « Quand le soleil reluit aux champs des pâquerettes, » et autres lyriques effusions de moi qui me firent tant de réputation plus tard, je les trouve assez bons pour un humble garçon de quinze ans :

LA ROSE DE FLORE
Envoyée par un jeune homme de qualité
à miss Br—dy de C—stle Br—dy
.

Sur la tour de Brady (qui viendra, la verra),
Croît de toutes les fleurs la fleur la plus jolie.
Au château de Brady vit la jeune Nora,
(Et nul ne sait combien je l’aime à la folie).
« Cette fleur, c’est Nora, dit Flore, qui l’aura ; »
Et Flore la lui donne à peine épanouie.

La déesse des fleurs lui dit : « Chère lady,
J’ai plus d’un beau parterre où la rose étincelle ;
Il est sept autres fleurs sur les tours de Brady.
Mais Nora que ses sœurs est vraiment bien plus belle.
Le Comté ni l’Irlande, au nord comme au midi,
N’ont pas un seul traisor qui soit aussi beau qu’elle.