Page:Thackeray - Mémoires de Barry Lyndon.djvu/34

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

prit ; mais quant à vous, miss, j’ai l’honneur de vous souhaiter le bonjour. »

Il ôta son chapeau sans beaucoup de cérémonie, fit une profonde révérence, et allait se retirer, quand Mick, mon cousin, arriva, ayant aussi entendu le cri.

« Holà ! holà ! Jack Quin, qu’est-ce qu’il y a ? dit Mick ; Nora en pleurs, le fantôme de Redmond l’épée nue, et vous, faisant la révérence ?

— Je vais vous dire ce qu’il y a, monsieur Brady, répondit l’Anglais : j’ai assez de miss Nora que voici, et de vos manières irlandaises. Je n’y suis pas habitué, monsieur.

— Eh bien ! eh bien ! qu’est-ce que c’est ? dit Mick d’un ton enjoué (car il devait beaucoup d’argent à Quin, comme on le sut plus tard) ; nous vous habituerons à nos manières ou nous adopterons celles de l’Angleterre.

— Les manières des dames anglaises ne sont point d’avoir deux amoureux (des dames hanglaises, comme les appela le capitaine) ; et ainsi, monsieur Brady, je vous serai obligé de me rembourser la somme que vous me devez, et je renonce à toutes prétentions sur mademoiselle. Si elle a du goût pour les écoliers, qu’elle les prenne, monsieur.

— Bah ! bah ! Quin, vous plaisantez, dit Mick.

— Je ne fus jamais plus sérieux, répliqua l’autre.

— Par le ciel, alors prenez garde à vous ! cria Mick. Infâme séducteur ! trompeur infernal ! Vous êtes venu enlacer dans vos filets cette angélique victime ; vous lui prenez son cœur et vous la quittez, et vous vous figurez que son frère ne la défendra pas ? Dégainez à l’instant, misérable ! il faut que je vous entaille le cœur.

— C’est un assassinat en règle, dit Quin en reculant ; m’en voilà deux sur les bras à la fois. Fagan, vous ne me laisserez pas assassiner.

— Ma foi ! dit le capitaine Fagan, qui semblait fort amusé, vous pouvez vider votre querelle vous-même, capitaine Quin ; » et, venant à moi, il me dit tout bas : « Retombe sur lui, mon petit gaillard.

— Dès lors que M. Quin renonce à ses prétentions, dis-je comme de juste, je ne dois pas intervenir.

— J’y renonce, monsieur, j’y renonce, dit M. Quin de plus en plus troublé.

— Alors défendez-vous en homme, de par tous les diables ! s’écria Mick de nouveau. Mysie, emmenez cette pauvre victime ; Redmond et Fagan veilleront à ce que tout se passe loyalement entre nous.