Page:Thackeray - Mémoires de Barry Lyndon.djvu/52

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— Oh ! l’poltron ! vous laisser mâter par le capitaine, lui qui n’a qu’un œil, disait un autre.

— La première fois que milady voyagera, alle fera mieux de vous laisser à la maison, dit un troisième.

— Quel est ce bruit, braves gens ? » dis-je, en m’avançant au milieu d’eux ; et, voyant dans la voiture une dame très-pâle et effrayée, je jouai du fouet et ordonnai à ces drôles aux jambes rouges de se tenir à l’écart. « Qu’est-il arrivé, madame, de fâcheux à Votre Seigneurie ? » dis-je, ôtant mon chapeau et faisant avancer mon cheval en caracolant à la portière de la chaise.

La dame m’expliqua la chose. Elle était femme du capitaine Fitzsimons et se hâtait de rejoindre son mari à Dublin. Un voleur avait arrêté sa chaise ; son grand idiot de domestique était tombé à genoux, tout armé qu’il était ; et quoiqu’il y eût dans le champ voisin une trentaine d’hommes qui travaillaient quand le brigand l’avait attaquée, pas un d’eux n’était venu à son secours, mais, au contraire, ils avaient souhaité bonne chance au capitaine, comme ils appelaient le voleur.

« Certainement, il est l’ami du pauvre, dit un homme, et j’lui souhaitons bonne chance.

— Est-ce que c’était not’affaire ? » demanda un autre. Et un autre dit, en riant, que c’était le fameux capitaine Freny, qui, ayant gagné le jury et s’étant fait acquitter, il y avait deux jours, aux assises de Kilkenny, était remonté à cheval à la porte de la prison, et le lendemain même avait dévalisé deux avocats qui se rendaient aux assises.

J’enjoignis à ce tas de gredins de retourner à leur ouvrage, sans quoi ils tâteraient de ma lanière, et je me mis à consoler de mon mieux mistress Fitzsimons de ses infortunes. « Avait-elle beaucoup perdu ? — Tout ; sa bourse, contenant plus de cent guinées ; ses bijoux, ses tabatières, ses montres, et une paire de boucles de souliers en diamant appartenant au capitaine. » Je pris sincèrement part à sa mésaventure, et la reconnaissant pour Anglaise à son accent, je déplorai la division qui existait entre les deux pays, et dis que dans le nôtre (entendant l’Angleterre) de pareilles atrocités étaient inconnues.

« Vous aussi, vous êtes Anglais ? » dit-elle d’un ton de surprise. Sur quoi je répondis que j’étais fier de l’être, comme, en effet, je l’étais ; et je n’ai jamais connu un vrai gentilhomme tory d’Irlande qui n’ait souhaité d’en pouvoir dire autant.

J’escortai la chaise de mistress Fitzsimons jusqu’à Naas, et comme on lui avait volé sa bourse, je lui demandai la permis-