Page:Thackeray - Mémoires de Barry Lyndon.djvu/73

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L’année de la mort de Georges II, notre régiment eut l’honneur d’être présent à la bataille de Warburg (où le marquis de Granby et son cheval relevèrent la cavalerie du discrédit où elle était tombée depuis la faute de lord Georges Sackville à Minden), et où le prince Ferdinand, une fois de plus, défit complètement les Français. Durant l’action, mon lieutenant, M. Fakenham, de Fakenham, le gentilhomme qui, on s’en souvient, m’avait menacé de coups de canne, fut frappé d’une balle au côté. Il n’avait manqué de courage ni dans cette occasion ni dans aucune autre où il avait été appelé à se mesurer contre les Français ; mais c’était sa première blessure, et le jeune gentilhomme en était excessivement effrayé. Il offrit cinq guinées pour être porté dans la ville qui était près de là, et moi et un autre soldat, le prenant dans un manteau, nous trouvâmes moyen de le transporter dans un endroit d’apparence décente, où nous le mîmes au lit, et où un jeune chirurgien, qui ne demandait pas mieux que de se retirer du feu de la mousqueterie, vint bientôt panser sa blessure.

Pour entrer dans cette maison, nous fûmes obligés, il faut l’avouer, de faire feu sur les serrures, sommation qui attira à la porte une des personnes de la maison, une fort jolie jeune femme aux yeux noirs, qui vivait là avec un vieux père à moitié aveugle, jagd-meister en retraite du duc de Cassel, qui est tout à côté. Quand les Français étaient dans la ville, la maison du meinherr avait souffert comme celles de ses voisins, et il fut d’abord excessivement peu disposé à recevoir nos gens. Mais le premier coup frappé à sa porte avait eu pour effet d’obtenir une prompte réponse, et M. Fakenham, en tirant une couple de guinées d’une bourse très-pleine, l’eut bientôt convaincu qu’il n’avait affaire qu’à un homme d’honneur.

Laissant le docteur (qui était fort aise de rester) avec son malade, qui me remit la récompense stipulée, je m’en retournais à mon régiment avec mon camarade, après avoir baragouiné en allemand quelques compliments mérités à la belle aux yeux noirs de Warburg, et songeant, non sans beaucoup d’envie, combien il serait agréable d’être logé là, quand le soldat qui était avec moi coupa court à mes rêveries, en me suggérant que nous devrions partager les cinq guinées que m’avait données le lieutenant.

« Voilà votre part, » dis-je en lui donnant une pièce, ce qui était bien assez, puisque j’étais le chef de l’expédition. Mais il jura ses grands dieux qu’il aurait la moitié, et quand je l’envoyai dans un endroit que je ne nommerai pas, le drôle, levant son mous-