Page:Thackeray - Mémoires de Barry Lyndon.djvu/77

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— Comment, lieutenant ? demanda le chirurgien. Je croyais que le lieutenant, c’était…

— Sur ma parole, vous me faites bien de l’honneur, m’écriai-je en riant ; vous m’avez pris pour ce fou de caporal qui est là-haut. Le drôle a prétendu une ou deux fois être officier, mais mon aimable hôtesse que voici vous dira quel est celui qui l’est.

— Hier il s’imaginait être le prince Ferdinand, dit Lischen ; le jour que vous êtes venu, il disait être une momie d’Égypte.

— En effet, dit le docteur ; je me rappelle ; mais, ah ! ah ! savez-vous, lieutenant, que je vous ai confondus dans mes notes ! »

Lischen et moi, nous rîmes de cette méprise comme de la chose la plus ridicule du monde ; et quand le chirurgien monta examiner son patient, je l’avertis de ne pas lui parler du sujet de sa maladie, attendu qu’il était dans une grande exaltation.

Le lecteur aura pu, d’après la conversation ci-dessus, deviner quel était réellement mon dessein. J’étais décidé à m’évader, et à m’évader sous le nom du lieutenant Fakenham, le lui prenant à sa face, pour ainsi dire, et m’en servant pour obéir à une impérieuse nécessité. C’était un faux et un vol, si vous voulez ; car je lui pris aussi tout son argent et ses habits, je ne chercherai pas à le cacher. Mais le besoin était si pressant, que je ferais encore de même ; et je savais que je ne pourrais pas m’échapper sans sa bourse et sans son nom. C’était donc un devoir pour moi de lui prendre l’un et l’autre.

Comme le lieutenant était toujours couché en haut, je n’hésitai point à mettre son uniforme, surtout après avoir eu soin de m’informer du docteur si ceux de nos hommes qui auraient pu me reconnaître étaient encore dans la ville. Mais il n’y en avait plus, que je susse ; j’allai donc me promener tranquillement avec Mme Lischen, revêtu de l’uniforme du lieutenant ; je m’enquis d’un cheval que j’avais besoin d’acheter, m’annonçai au commandant de la place comme le lieutenant Fakenham, du régiment anglais d’infanterie de Gale, convalescent, et fus invité à dîner par les officiers du régiment prussien à un pitoyable ordinaire qu’ils avaient. Comme Fakenham aurait tempêté s’il eût su l’usage que je faisais de son nom !

Chaque fois que le personnage demandait des nouvelles de ses habits, ce qu’il faisait avec toutes sortes d’imprécations et de serments qu’il me ferait bâtonner au régiment pour mon incurie ; moi, de l’air le plus respectueux, je lui répondais qu’ils étaient en bas parfaitement en sûreté ; et le fait est qu’ils étaient soigneusement empaquetés, et prêts pour le jour où