Page:Thackeray - Mémoires de Barry Lyndon.djvu/83

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« Où sont les beautés que vous m’avez promises ? dis-je aussitôt que la sorcière eut quitté la chambre.

— Bah ! dit-il en riant et en me regardant fixement, c’était une plaisanterie ; j’étais fatigué, et je ne voulais pas aller plus loin. Il n’y a pas ici de plus jolie femme que celle-là. Si elle ne vous convient pas, mon ami, il faut attendre quelque temps. »

Cette réponse accrut ma mauvaise humeur.

« Sur ma parole, monsieur, dis-je sévèrement, je trouve que vous avez agi d’une façon fort cavalière.

— J’ai agi comme j’ai cru devoir le faire, repartit le capitaine.

— Monsieur, dis-je, je suis officier anglais !

— C’est un mensonge, cria l’autre, vous êtes un déserteur ! Vous êtes un imposteur, monsieur ; voilà trois heures que je le sais. Je vous suspectais hier. Mes soldats avaient entendu dire qu’un homme s’était échappé de Warburg, et je pensais que c’était vous. Vos mensonges et votre folie m’ont confirmé dans cette idée. Vous prétendez porter des dépêches à un général qui est mort depuis dix mois ; vous avez un oncle qui est ambassadeur, et dont vous ne savez pas même le nom. Voulez-vous être des nôtres et recevoir la gratification, monsieur, ou aimez-vous mieux être livré ?

— Ni l’un ni l’autre ! » dis-je en sautant sur lui comme un tigre.

Mais, quelque agile que je fusse, il était, de son côté, sur ses gardes. Il prit deux pistolets dans sa poche, en arma un, et dit de l’autre bout de la table où il se tenait pour m’écouter :

« Faites un pas, et je vous envoie cette balle dans la cervelle ! »

L’instant d’après, la porte s’ouvrit avec violence, et les deux sergents entrèrent la baïonnette au bout du fusil au secours de leur officier.

La partie était perdue. Je jetai à terre un couteau dont je m’étais armé, car la vieille sorcière, en apportant le vin, avait emporté mon épée.

« Je me rends, dis-je.

— Voilà un bon garçon. Quel nom mettrai-je sur ma liste ?

— Écrivez Redmond Barry de Bally Barry, dis-je avec hauteur ; un descendant des rois d’Irlande !

— J’ai été dans le temps avec la brigade irlandaise de Roche, dit le recruteur en ricanant, pour voir si je trouverais quelques beaux hommes parmi le peu de compatriotes à nous qui sont