Page:Thackeray - Mémoires de Barry Lyndon.djvu/84

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dans cette brigade, et ils descendaient à peu près tous des rois d’Irlande.

— Monsieur, dis-je, roi ou non, je suis gentilhomme, ainsi que vous pouvez voir.

— Oh ! vous en trouverez beaucoup d’autres dans notre corps, répondit le capitaine toujours ricanant. Donnez vos papiers, monsieur le gentilhomme, et voyons qui vous êtes réellement. »

Comme mon portefeuille contenait quelques billets de banque avec les papiers de M. Fakenham, je ne me souciais pas de m’en dessaisir, soupçonnant à bon droit que c’était une ruse du capitaine pour me le prendre.

« Peu vous importe quels sont mes papiers, dis-je : j’ai été enrôlé sous le nom de Redmond Barry.

— Donnez-moi ce portefeuille, drôle, dit le capitaine, en levant sa canne.

— Je ne le donnerai pas ! répondis-je.

— Chien, est-ce que tu te révoltes ? » s’écria-t-il ; et, en même temps, il me donna un coup de canne à travers le visage, et dont le résultat prévu fut d’amener une lutte.

Je m’élançai sur lui ; les deux sergents se jetèrent sur moi, je fus renversé à terre et de nouveau sans connaissance, ayant été frappé sur mon ancienne blessure à la tête. Je saignais considérablement ; quand je revins à moi, mon uniforme m’avait été arraché, ma bourse et mes papiers étaient partis, et j’avais les mains liées derrière le dos.

Ce grand et illustre Frédéric avait tout autour des frontières de son royaume des vingtaines de ces marchands d’esclaves blancs, qui débauchaient les troupes ou enlevaient les paysans, et ne reculaient devant aucun crime pour approvisionner ses brillants régiments de chair à canon ; et je ne puis m’empêcher de raconter ici avec quelque satisfaction ce qui finit par arriver à l’atroce gredin qui, violant toutes les lois de l’amitié et de la camaraderie, venait de réussir à me prendre au piège. Cet individu était d’une grande famille et connu pour ses talents et son courage ; mais il avait une propension au jeu et à la dépense, et trouvait son métier d’attrape-recrues bien plus profitable que sa paye de capitaine en second dans la ligne. Le roi, aussi, trouva probablement ses services plus utiles en cette première qualité. Son nom était M. de Galgenstein, et il était un des plus heureux à cet infâme commerce. Il parlait toutes les langues, connaissait tous les pays ; aussi n’eut-il aucune difficulté à démasquer un innocent petit hâbleur tel que moi.