Page:Thackeray - Mémoires de Barry Lyndon.djvu/92

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teur Moser de Halle fit, après moi, le discours du soir ; mais, quoique son exercice fût savant et qu’il eût fait justice d’un passage d’Ignace, qu’il prouva être une interpolation manifeste, je ne pense pas que son sermon ait produit autant d’effet que le mien, et que les Rumpelwitzers l’aient goûté beaucoup. Après le sermon, tous les candidats sortirent ensemble de l’église, et soupèrent amicalement au Cerf bleu, à Rumpelwitz.

« Tandis que nous étions ainsi occupés, un garçon entra et dit qu’une personne au dehors désirait parler à l’un des révérends candidats, au grand. Ce ne pouvait être que moi ; car j’avais la tête de plus qu’aucun des révérends assistants. Je sortis pour voir quelle était la personne qui avait à m’entretenir, et je trouvai un individu que je n’eus aucune peine à reconnaître pour être de la religion juive.

« Monsieur, me dit cet Hébreu, j’ai su d’un ami, qui était aujourd’hui dans votre église, les principaux points de l’admirable discours que vous avez prononcé. Il m’a affecté profondément, très-profondément. Il n’en est qu’un ou deux sur lesquels je suis encore dans le doute, et, si Votre Honneur daignait m’éclairer là-dessus, je pense… je pense que Salomon Hirsch serait un converti, grâce à votre éloquence.

— Quels sont ces points, mon bon ami ? » lui dis-je, et je lui énumérai les vingt-quatre points de mon sermon, en lui demandant sur lesquels il avait des doutes.

« Nous nous promenions devant l’auberge pendant cette conversation ; mais les fenêtres étant ouvertes, mes camarades, qui avaient déjà entendu mon discours dans la matinée, me requirent, d’un ton assez maussade, de ne point le recommencer en ce moment. J’allai donc plus loin avec mon disciple, et, à sa prière, je débitai sur-le-champ mon sermon, car j’ai la mémoire excellente, et je puis répéter par cœur tout livre que j’ai lu trois fois.

« Je prononçai donc sous les arbres, et à la paisible lueur de la lune, ce discours que j’avais prononcé à la clarté resplendissante du midi. Mon Israélite ne m’interrompait que par des exclamations de surprise, d’assentiment, d’admiration et de conviction croissante : « Prodigieux ! » disait-il ; « Wunderschön ! » s’écriait-il à la fin de quelque éloquent passage ; en un mot, il épuisa les formules complimenteuses de notre langue, et quel homme est ennemi des compliments ? Je crois que nous avions bien fait deux milles quand nous en fûmes à mon troisième point, et mon compagnon me pria d’entrer dans la maison dont nous étions près, et de boire avec lui un verre de bière, ce à quoi je n’eus jamais de répugnance.