Page:Thackeray - Mémoires de Barry Lyndon.djvu/94

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étant cuisinière de la Frau Prorectorinn Nasenbrumm, femme de mon digne patron. J’ai avec moi un ou deux livres que personne ne me prendra probablement, et un autre dans mon cœur qui est le meilleur de tous. S’il plaît au ciel de terminer ici mon existence, avant que je puisse pousser plus loin mes études, quel sujet ai-je de me plaindre ? Dieu veuille que je ne me trompe pas, mais je crois n’avoir fait tort à personne et n’avoir commis aucun péché mortel. Si je l’ai fait, je sais à qui demander de la clémence ; et si je meurs, comme j’ai dit, sans savoir tout ce que je désire d’apprendre, ne me trouverai-je pas en situation d’apprendre toutes choses ? et que peut souhaiter de plus l’âme humaine ?

« Pardonnez-moi de dire si souvent je, poursuivit le candidat ; mais quand un homme parle de lui-même, c’est la manière la plus courte et la plus simple de parler. »

En quoi, peut-être, quoique je déteste les gens personnels, je pense que mon ami avait raison. Quoiqu’il se reconnût pour un homme de sentiments vulgaires, n’ayant pas d’autre ambition que de connaître le contenu de quelques livres moisis, je crois qu’il avait du bon en lui, surtout dans la résolution avec laquelle il supportait ses calamités. Plus d’un galant homme des plus honorables n’est souvent pas à l’épreuve de ces sortes de choses, et a été vu au désespoir pour un mauvais dîner, ou dans l’abattement pour un trou à son coude. Ma maxime, à moi, est de tout supporter, de m’accommoder de l’eau si je ne puis avoir du vin de Bourgogne, et si je n’ai pas de velours, de me contenter de drap de Frise. Mais le vin de Bourgogne et le velours valent mieux, bien entendu, et il faut être un sot pour ne pas s’emparer de ce qu’il y a de mieux quand on a des pieds et des mains.

Les points de son sermon dont mon ami le théologien se proposait de me régaler, je ne les entendis jamais ; car, après notre sortie de l’hôpital, il fut dirigé sur un régiment aussi éloigné que possible de son pays natal, en Poméranie, tandis que je fus incorporé dans le régiment de Bulow, dont le quartier général ordinaire était à Berlin. Il est rare que les régiments prussiens changent de garnison comme font les nôtres ; car la crainte des désertions est si grande, qu’il devient nécessaire de connaître les traits de tous les individus au service ; et, en temps de paix, les hommes vivent et meurent dans la même ville. Ceci, comme on le pense bien, n’ajoute pas aux agréments de la vie du soldat. C’est de peur qu’aucun jeune gentilhomme comme moi ne prenne goût à la carrière militaire, et ne s’imagine que la vie d’un simple soldat est tolérable, que je donne ces descriptions,