Page:Thackeray - Mémoires de Barry Lyndon.djvu/98

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repoussèrent. Les Autrichiens étaient dehors, aux barrières, regardant la lutte avec un vif intérêt. Les femmes, qui étaient aussi aux aguets, apportèrent de nouvelles munitions à ces intrépides déserteurs, et ils rengagèrent le combat et refoulèrent plusieurs fois les dragons. Mais, dans ces engagements plus glorieux que profitables, il se perdait beaucoup de temps ; bientôt arriva un bataillon qui entoura les trente braves, et le sort des pauvres diables fut décidé. Ils se battirent avec la rage du désespoir ; pas un d’eux ne demanda quartier. Quand les munitions leur manquèrent, ils se battirent à l’arme blanche, et furent tués sur place à coups de fusil ou de baïonnette. Le Français fut le dernier atteint : il reçut une balle dans la cuisse, tomba, et, dans cet état, on se rendit maître de lui, après qu’il eut tué l’officier qui s’avança le premier pour s’emparer de lui.

Avec le très-petit nombre de ses camarades qui avaient survécu, il fut ramené à Neiss, et immédiatement, comme chef de l’émeute, il fut traduit devant un conseil de guerre. Il refusa de répondre aux questions qui lui furent faites sur son vrai nom et sur sa famille. « Que vous importe qui je suis ? dit-il ; vous me tuerez et vous me fusillerez. Mon nom ne me sauverait pas, si fameux qu’il pût être. » Il se refusa de même à toute révélation au sujet du complot. « C’est moi qui ai tout fait, dit-il ; chaque homme qui en faisait partie ne connaissait que moi et ignore quels sont ses camarades. Moi seul je suis dans le secret, et le secret mourra avec moi. » Quand les officiers lui demandèrent quel était le motif qui avait pu l’engager à méditer un crime si horrible : « C’est votre infernale brutalité et tyrannie, dit-il. Vous êtes tous des bouchers, des scélérats et des tigres, et c’est à la lâcheté de vos hommes que vous devez de n’être pas égorgés depuis longtemps. »

Là-dessus son capitaine se répandit en exclamations des plus furieuses contre le blessé, et s’élançant sur lui, lui asséna un coup de poing. Mais le Blondin, tout blessé qu’il était, aussi prompt que la pensée, saisit la baïonnette de l’un des soldats qui le soutenaient, et la plongea dans la poitrine de l’officier. « Misérable monstre, dit-il, j’aurai la consolation de t’envoyer hors de ce monde avant de mourir. » On le fusilla le jour même. Il offrit d’écrire au roi, si les officiers consentaient à ce que sa lettre fût remise cachetée aux mains du directeur de la poste ; mais ils craignaient sans doute qu’il ne dît quelque chose de nature à les inculper, et ils refusèrent la permission. À la revue qui suivit, Frédéric les traita, dit-on, avec une grande sévérité, et leur reprocha de n’avoir pas fait droit à la requête du Français.