Page:Tharaud - Dingley.djvu/13

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Aujourd’hui, la moisson de sa jeunesse était faite. Il avait quarante ans, et s’inquiétait maintenant de savoir les fruits que porterait l’automne de sa vie. Il se demandait si, dans cent ans, un vers, une ligne de lui retiendrait éveillé un lecteur qui s’endort. Il avait écrit pour les enfants, les artistes et les femmes ; il redoutait que ce public léger se retirât de lui, et pour vaincre le temps — c’était l’obsession de son esprit de se survivre au fond des cervelles humaines — il cherchait à s’accrocher à quelque solide épave.

Entre tous les événements qui depuis Rome ont bouleversé le monde, aucun ne lui semblait de plus grande conséquence que la conquête de la terre par sa race. De toute éternité, il se sentait choisi, élu par la Providence pour être le héraut de cette gigantesque entreprise. Un romancier comme lui, Disraëli, l’avait conçue. Dans sa chambre de poète, ce rêveur du ghetto avait écrit l’histoire imaginaire d’un ambitieux génial qui, rassemblant toutes les colonies