Page:Tharaud - Dingley.djvu/133

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Dans cette case de quelques pieds emportée à travers la nuit, cet infortuné compagnon devint une proie pour son imagination. Il avait vu bien des blessés, mais jamais un blessé pareil à ce singulier voyageur qui n’était ni mort ni vivant. Il aurait voulu l’interroger, savoir qui il était, d’où il venait, ce qu’il avait vu. Cette curiosité, dont il n’était pas le maître, s’exaspérait du sentiment qu’elle ne pouvait être satisfaite. Et son esprit fut obsédé, durant des heures, par cette idée : quel mot dirait ce moribond si le pouvoir lui était rendu d’en prononcer un, un seul ?

Quand la triste Blœmfontein apparut dans l’air mouillé du matin, il remit le blessé entre les mains du médecin de service à la gare. Avant de le quitter, il lui serra la main et lui dit sans conviction : Au revoir ! Le soldat fit un violent effort pour répondre. À coup sûr le pauvre diable aurait donné volontiers tous les trésors de la terre pour remuer seulement le bout de la langue. Des larmes glissèrent dans la poussière