Page:Theodore Pavie - Histoire des trois royaumes vol 2, Duprat, 1851.djvu/218

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Yen-Léang, rangés en bataille dans la plaine, les bannières étincelant de toutes parts, les piques et les cimeterres serrés comme une forêt, terribles à voir.

« Ces hommes de la rive septentrionale du fleuve Ho, disait-il, ont un aspect qui fait peur ! — Bah ! répliqua Yun-Tchang en souriant, ils sont pour moi comme des coqs d’argile, comme des chiens de faïence ! — Tous les chefs sont rangés en bataille ; les étendards flottent d’un air menaçant ; les hommes semblent des tigres, les chevaux, des dragons malfaisants. — Arcs d’or et flèches de jade (vaine parade) ! — Au pied de la grande bannière, ce guerrier qui paraît sur son coursier, le sabre en main, c’est Yen-Léang[1]. »

À ces mots, Yun-Tchang leva les yeux et aperçut un chef vêtu d’une tunique brodée, couvert d’une cuirasse d’or, à la figure martiale, au visage imposant, et setournant vers Tsao-Tsao : « Ce général, lui dit-il, me fait l’effet d’un[2] homme qui s’est fourré un bouchon de paille sur l’épaule et livré sa tête à qui la veut. — Prenez garde, reprit Tsao ; ne le méprisez pas trop ! Je ne vaux pas grand’chose, interrompit en se levant Yun-Tchang, mais fût-il au milieu de dix mille armées, je vous apporterai sa tête ! — En face des troupes, s’écria Tchang-Liéao, il ne faut pas dire de vaines paroles ; frère, trève de jactance... »

« Qu’on m’amène le Lièvre-Rouge ! » dit Yun-Tchang. Aussitôt il s’élance sur le coursier fameux, brandit son cimeterre redouté et descend la colline au galop. Son casque est suspendu au pommeau de la selle ; ses yeux ronds s’ouvrent comme ceux du phénix, ses sourcils se redressent comme deux vers à soie qui s’allongent ; il arrive hors des rangs. Devant lui, les troupes ennemies, composées des gens venus de la rive septentrionale du

  1. Dans les poèmes hindous, et particulièrement dans le Mahâbhârata, on trouve des passages que celui-ci rappelle, mais ils sont développés avec une abondance d'images que la langue chinoise n'ose aborder.
  2. Le texte chinois dit : Comme un homme qui a mis un signe et vend sa tête ; le texte tartare dit : Comme un homme qui ayant fourré de la paille sur son épaule, vendrait sa tête. L’édition in-18 ajoute en note : Ceux qui dans le siècle veulent usurper un vain renom, tous à l’envi affichent leurs têtes comme une marchandise.