Page:Theodore Pavie - Histoire des trois royaumes vol 2, Duprat, 1851.djvu/234

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jour ; elle ne doit rien avoir de clandestin. Je vais écrire une lettre que vous voudrez bien remettre à mon frère aîné, après quoi j’irai prendre congé de Tsao, et annoncer ma résolution aux deux dames. »

« Dans le cas où son excellence chercherait à vous retenir, resterez-vous ici ? — Plutôt mourir que de rester plus longtemps dans ces lieux ! » Telle fut la réponse de Yun-Tchang ; pressé par l’officier d’écrire la lettre si impatiemment attendue de Hiuen-Té, il traça les lignes suivantes :

« Moi, Kouan-Tchang, j’ai appris que la justice doit se mettre au-dessus des sentiments qui naissent du cœur[1] ; que la loyauté ne s’arrête pas devant la crainte de la mort ; telles sont du moins les doctrines des vrais héros ! Depuis mon enfance, j’ai étudié les livres ; j’ai appris en gros ce qui touche » aux rites et à la justice. Depuis que j’ai lu les histoires de Yang-Kiéou-Ngay et de Tsou-Pé-Tao, et réfléchi sur les actions de Tchang-Youen-Pé et de Fan-Kiu-Tching[2] ; quand je repasse toutes ces choses en mon souvenir, je ne puis m’empêcher de gémir et de pleurer ! Naguère, dans cette ville de Hia-Pey, qui était confiée à ma garde, les vivres devenaient rares ; à cette calamité intérieure se joignait le manque de soldats pour défendre les murs. Je voulais mourir pour prouver mon dévouement, mais vos deux femmes étaient près de moi ; » cette grave considération m’empêcha de me couper le cou et de chercher la mort dans les fossés de la place. Voici que vos nouvelles m’arrivent du Jou-Nan ; à l’instant même je prends

  1. Littéralement : j’ai entendu dire que la justice ne se proportionne pas au cœur, d’après l’interprète tartare, et selon l’expression chinoise : ne se règle pas sur le cœur, c’est-à-dire sur les passions. — Il faut sans doute lire le caractère chinois fou avec la clé de l’homme (Basile, 355), pour arriver à l’équivalent du mot mandchou houaliambi.
  2. Yang-Kiéou-Ngay et Tsou-Pé-Tao, sont deux amis célèbres par leur fidélité, dont l’histoire était le sujet de la nouvelle XII du recueil intitulé Kin-Kou-Ky-Kouan, histoires merveilleuses anciennes et modernes. Tchang-Youen-Pé et Fan-Kiu-Tching, qui vivaient sous les premiers Han, sont cités aussi comme des modèles d’amitié et de dévouement. Voir le Sing-Chy-Tso-Pou, Biographie universelle, livre CXVII, page 69, à l’article Fan.