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Le romantisme lui-même, d’ailleurs, procédait de la Révolution qui procédait de la Réforme. À condition de faire craquer bien vite les cadres abstraits que l’on a provisoirement établis et de voir le courant des choses sous ces coupures de mots, comme un fleuve sous des ponts, ces enchaînements de la raison entre les ordres esthétique et politique ne sauraient être que féconds : « Les rapports entre peuple et gouvernement, dit finement Nietzsche, sont les rapports typiques les plus forts sur lesquels se modèlent involontairement les rapports entre professeur et élève, maître et serviteur, père et famille, chef et soldat, patron et apprenti[1] ». Ajoutez-y, comme l’avait aperçu Platon, les rapports intérieurs entre les diverses facultés de l’homme. M. Maurras, venu de la critique littéraire à la politique, a vu naturellement, d’abord, la vie politique française comme une transgression d’un flot littéraire, le romantisme, puis il a envisagé la réforme littéraire comme une conséquence de la réforme politique. Et il a déterminé, ici comme ailleurs, un sillage intéressant dont on retrouve fréquemment la ligne, avouée ou dissimulée, dans la pensée française d’aujourd’hui.

Le mouvement néo-classique né des campagnes de M. Maurras a invité l’esprit français à une révision de certaines valeurs importantes. Il a constitué dans le calme plat de la littérature la seule école doctrinale, et il a hérité, en somme, de l’influence de Brunetière que M. Maurras n’aime pas plus que Comte n’aimait « le jongleur dépravé » Saint-Simon. Le livre un peu tendu et fumeux de M. Lasserre sur le Romantisme Français fut le succès le plus retentissant de la critique depuis le XVIIIe siècle de Faguet, et Remy de Gourmont en écrivait : « J’attends M. Lasserre sur les contemporains. Il est capable d’en renouveler les valeurs et d’en corriger les hiérarchies. » L’école nouvelle réussit presque à marquer, pour le langage courant, le mot romantisme d’une signification péjorative, comme s’il s’agissait d’une maladie. Déjà en 1830, on écrivait couramment que le romantisme n’est pas une doctrine, mais une maladie, terme d’ailleurs très élastique. Une dame, qui déjeunait d’une assiette de pâtes et d’une pomme, démontrait un jour à quelqu’un que l’appétit était proprement et rigoureusement une maladie. Mais enfin, bonne ou mauvaise, cette attitude indique une critique qui juge plutôt qu’une critique qui comprend.

Une critique de jugement et de doctrine, il sembla d’abord que M. Maurras dût y prendre, avec moins de connaissances et plus de

  1. Humain, trop humain, t. I, tr. fr., p. 385.