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type d’État monarchique sans aristocratie ne se rencontre que dans les civilisations musulmanes, et il n’est pas besoin de beaucoup de réflexion pour voir à quel point il est inférieur au type européen. M. Maurras et M. Barrès s’accordent d’ailleurs à peu près, puisque l’un dit qu’une aristocratie manque à la monarchie possible, et l’autre que la monarchie réalisée créerait cette aristocratie. La tâche du roi serait la même que celle de Bonaparte en 1804, et le lys continuerait à butiner sur les abeilles : une reconstruction de la France devrait en effet emprunter ses éléments à l’expérience de toutes les reconstructions précédentes.

Mais M. Maurras pose en général la question sous une forme plus pittoresque et mieux liée à sa polémique ordinaire. Son raisonnement est celui-ci. Un État ne se maintient que par des institutions héréditaires, monarchie ou aristocratie. Or l’État français actuel se maintient. Il doit donc posséder, à défaut de monarchie, une aristocratie. Il en possède une. Mais : comme tout va mal c’est qu’elle ne vaut rien, — ou : comme elle ne vaut rien, tout doit aller mal. Il faut la remplacer par une bonne aristocratie, celle que la monarchie nous referait.

L’aristocratie que nous possédons (ou qui nous possède) est, selon M. Maurras, celle des « quatre États confédérés », juif, protestant, maçon, métèque. « La République, fidèle à la loi républicaine qui implique le gouvernement d’un très petit nombre, la République en France s’appuiera sur les seuls groupes héréditaires qui aient conservé de la cohésion. » Ce sont « les familles juives, les familles protestantes, l’État métèque ou Monod, le monde maçonnique. Ces oligarchies unies fortement au milieu de la désorganisation nationale, voilà les fatales maîtresses que nous donnent les lois de la Physique politique »[1].

L’idée de M. Maurras est trop intéressante pour qu’au risque d’être taxé d’une certaine candeur je n’essaie pas de la serrer de près. Il est entendu — et M. Maurras insiste sur ce point — qu’il n’y a aristocratie que là où il y a transmission héréditaire. Le mot ne convient donc à un groupe que si ce groupe est constitué non par des sentiments ou des intérêts ou des idées solidaires dans l’espace, mais par des générations solidaires dans la durée, par un emmagasinement d’autorité, d’influence et d’éclat au sein de familles perpétuelles. De ce point de vue les oligarchies dont parle M. Maurras sont-elles des aristocraties ?

Trois d’entre elles au moins ont un caractère très nettement viager.

  1. Enquête, p. 229.