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qui m’oriente vers Athènes m’est venue de mon dehors plutôt que de mon cœur profond[1]. » Il faut en effet, a Athènes, s’abandonner à certaines puissances de curiosité libre et désintéressée. « Qu’il arrive vite, le temps où des beautés derrière nous seront seules pleines, touchantes, sérieuses[2] ! » Mais d’autre part « jusqu’à mon extrême fatigue mon intelligence voudra chercher et conquérir des terres nouvelles, pour que mes activités profondes s’étendent, s’enrichissent, s’expriment par des formes de vie plus saisissantes. » Les deux rythmes de l’arbre, celui qui l’enfonce dans la terre, celui qui l’étend dans la lumière, reproduisent, allégorisent le dualisme, les directions de vie double que nous remarquions chez M. Barrès. Mais l’arbre ne se nourrit pas, ne prospère pas, sans cette diversité à ses racines, cette chimie complexe et savante du terreau que l’acte même de la vie est de surmonter, de prendre pour moyen d’une unité vigoureuse et tendue. Cette unité M. Barrès la cherche, plus qu’il ne la trouve, la voit plus qu’il ne la vit. Merveilleuse condition pour idéaliser l’arbre, pour en faire cette œuvre d’art, ce totem de la vie harmonieuse. Image littéraire, un peu, jardin du voisin plus que propre jardin. « De la petite table où j’écris…, je vois, dans le jardin de mon voisin, un grand arbre, grave et patient sous la neige… »

III
LA FIGURE DE LA MORT

« J’ai trouvé une discipline dans les cimetières où mes prédécesseurs divaguaient. » M. Barrès veut, en ces derniers mots, parler de la hantise romantique de la mort, celle qui prend un caractère hallucinatoire dans la poésie de Théophile Gautier et de Victor Hugo. La discipline lorraine et nationale est surajoutée comme une vue classique de l’intelligence et une décision de la volonté à une sensibilité diffuse, à une « divagation » (au sens mallarméen) sur la mort, qui garde sur M. Bar-

  1. Le Voyage de Sparte, p. 39.
  2. Id.,.p. 97.