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Le Roman de l’Énergie Nationale aurait pu demander son titre à une parole (et au grand acte) de Napoléon : « La carrière ouverte aux talents ». Les sept bacheliers lorrains qui arrivent à Paris comme M. Barrès y arriva vers 1887, pour y gagner culture, jouissance, considération, gloire, suivent l’appel d’air impérial qui continue à s’exercer sur la France comme un vent puissant sur une plaine nue où rien ne l’arrête. En ces sept Lorrains, c’est encore lui-même que M. Barrès a peint, ce sont encore des parties ou des possibilités de lui, comme l’étaient Simon, Bérénice, André Maltère, qu’il a fait vivre en chair et en sang, et non plus sur les champs héraldiques de l’idéologie, mais dans l’intrigue et la bataille parisiennes. C’est lui-même, mais commandé par tout un ordre politique et littéraire à trois temps qui s’appellent : Napoléon, Julien Sorel, Bouteiller. Napoléon, professeur d’énergie, — Julien Sorel, l’élève de ce professeur — Bouteiller, l’idéologue qui adapte à la pensée de 1885, à la France de la République opportuniste, les cadres napoléoniens.

À peu près à l’époque des Déracinés Ernest la Jeunesse écrivit un livre dont le titre seul m’est resté dans la tête : l’Imitation de Notre Maître Napoléon. Les Déracinés, groupés autour du chapitre Au Tombeau de l’Empereur pouvaient recevoir ce titre. Dans un lot de bacheliers lorrains, M. Barrès en a choisi sept qui, à différents titres, ne sont pas de ceux qui se résignent et se classent, mais de ceux qui veulent commander, arriver, être des capitaines. « Sept Lorrains notables, c’est-à-dire chez qui les impressions peuvent prendre une forme individuelle et les idées développer toutes leurs conséquences, » au contraire d’un reste qui « marqué par le régime du lycée, se confondra avec la vaste vie qui sait faire des galets avec les quartz les plus durs[1]. » Ce sont des morceaux de Napoléon, de la monnaie qui porte derrière l’exergue : République française, la face impériale. « Au tombeau de Napoléon professeur d’énergie, jurons d’être des hommes » dit Sturel[2], et le premier qui jure c’est Mouchefrin « le petit Mouchefrin qui s’était glissé au premier rang ». Napoléon professeur d’énergie « telle est sa physionomie définitive et sa formule décisive[3]. » Un homme nu, une force souveraine devant une magnifique carrière, voilà l’image que le jeune Bonaparte, médité fiévreusement, propose

  1. Les Déracinés, p. 35.
  2. Id., p. 232.
  3. Id., p. 22.