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recommandé comme la fleur du monde ! »[1] Il y a évidemment de beau romantisme, mais en voilà de curieusement intempérant, de l’authentiquement féminin. Le Parthénon, comme toute œuvre d’architecture appartient à l’ordre de la beauté réfléchie et calculée. L’architecture n’a jamais été, même chez les gothiques — surtout chez les gothiques — un hymne qui s’échappât naturellement de l’âme. — La phrase suivante classerait le Parthénon bien après l’Alhambra et le Généralife, qui sont en effet en architecture l’image et les lieux du plaisir. L’Erechthéion d’Athènes, qui servait, du temps des Turcs, de harem au gouverneur, et que M.  Barrès semble vouloir rendre à cet emploi, était bien le lieu du monde le plus mal fait pour une maison de plaisir. — La phrase d’Épictète s’applique au Jupiter d’Olympie et non à l’Acropole. — Et enfin Pascal qui a dit : « Tout notre malheur vient de ne pas savoir demeurer dans une chambre, » n’est point un guide vers ces fleurs du monde. Si M.  Barrès écrivait : Huit jours chez Blaise Pascal, il lui poserait peut-être des questions aussi incongrues que celles qui courroucèrent jadis l’entourage de Renan.

De voir M.  Barrès méconnaître le Parthénon, conclurons-nous qu’il n’a point le sens des valeurs d’intelligence ? Nullement. Il n’y a pas d’intelligence plus saine et plus fine que la sienne, personne mieux que lui ne subodore l’intelligence dans les choses ou dans les hommes. Dans le Voyage de Sparte, composé et pondéré de la plus ingénieuse manière, il y a un chapitre purement intelligent, lucide avec beaucoup de goût, livresque avec quelque gaucherie, consacré à Phidias. Avec un sens d’artiste très juste, il a pensé qu’il fallait placer dans ces pages sur Athènes autre chose que de la sensibilité : il y a mis, comme en son lieu naturel, de l’intelligence nue. Ces lignes sur Anaxagore et Phidias me rappellent les deux chapitres élégants de l’Ennemi des Lois sur la sensibilité des réformateurs français et allemands, l’étude sur l’Évolution de l’Individu dans les Musées de Toscane. Ce n’est pas très profond, cela manque de dialectique et de liant, les idées sont frôlées plutôt qu’embrassées, mais c’est lumineux, c’est intelligent. M.  Barrès a pu considérer le νοῦς (noûs), d’Anaxagore, l’incorporer à la statuaire de Phidias, du même fonds exactement qui lui fournissait ses admirables notations sur Vinci : « Il a donné à l’intelligence une valeur morale… La moindre des créatures qui nous est parvenue de Vinci connaît les deux côtés de la tapisserie qu’est l’univers, de là le sourire

  1. Le Voyage de Sparte, p. 275.