Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/120

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évocation, à un charme. Et cela par une sorte de correction mutuelle qui finalement fait rentrer l’une dans l’autre les notions, arrondissant leurs angles, leur enlevant, comme aux vers dans le poème, leur caractère terminal, y figurant des allusions à un sentiment que leur sens littéral ne saurait exprimer, et qui pourtant, du jeu de ces allusions, se détache vivant et pur. Ainsi naissent de Lamartine l’Automne, Ischia, la Vigne et la Maison, de Hugo les Mages et Booz, de Verlaine plus évidemment encore toute la substance de sa poésie. La nouveauté de Mallarmé fut de concentrer à un second degré ces qualités naturelles du lyrisme, de transporter aux mots eux-mêmes cette fonction toute allusoire des notions. Quand Lamartine écrit :

Ô Lac, l’année à peine a fini sa carrière,
Et près des flots chéris qu’elle devait revoir,
Regarde, je viens seul m’asseoir sur cette pierre
          Où tu la vis s’asseoir,

il est évident que les notions — les idées contenues dans ces phrases — ne sont pas prises pour elles-mêmes, car alors elles ne vaudraient pas la peine qu’on les écrivît. Et voilà précisément ce qui distingue de la poésie classique le lyrisme, ce qui a fait qu’elle ne comportait pas de lyrisme. La notion dans la poésie classique a une valeur propre et le vers apporte des idées, des lumières, des raisons et une raison, en général sur le cœur humain.

Aimez donc la raison, que toujours vos écrits
Empruntent d’elle seule et leur lustre et leur prix...
Et mon vers, bien ou mal, dit toujours quelque chose.

Aussi comprend-on que des critiques nourris à une classique mamelle, comme Faguet, se posent à propos de Lamartine, de Hugo ou de Baudelaire cette question bizarre et vraiment dénuée de sens : A-t-il des idées ?