Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/142

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tapi heureusement dans sa yole, parmi les plantes d’eau, contre le rivage du jardin enchanté où un bruit est peut-être le pas de la dame, peut-être la musique de son rêve, il demeure dans le délice de l’heure transparente, dans l’hésitation à débarquer, dans le refus d’admettre une présence qui appuierait en le brisant sur ce charme à ras de terre posé, « ce charme instinctif d’en dessous que ne défend pas contre l’explorateur la plus authentiquement nouée, avec une boucle en diamants, des ceintures. Si vague concept se suffit : et ne transgressera le délice empreint de généralité qui permet et ordonne d’exclure tous visages, au point que la révélation d’un (n’allez point le pencher, avéré, sur le furtif seuil où je règne) chasserait mon trouble avec lequel il n’a que faire. »

Il ne la verra pas, il partira, ayant en main la fleur ici cueillie, le nénuphar blanc du rêve pur, qui, selon sa nature, devrait demeurer sans se dire, mais qui, pour notre émerveillement, éclot sur la page d’un livre dans le miracle de ces phrases : « Résumer d’un regard la vierge absence éparse en cette solitude, et, comme on cueille, en mémoire d’un site, l’un de ces magiques nénuphars clos qui y surgissent tout à coup, enveloppant de leur creuse blancheur un rien, fait de songes intacts, du bonheur qui n’aura pas lieu et de mon souffle ici retenu dans la peur d’une apparition, partir avec : tacitement, on déramant peu à peu sans du heurt briser l’illusion ni que le clapotis de la bulle visible d’écume enroulée à ma fuite ne jette aux pieds survenus de personne la ressemblance transparente du rapt de mon idéale fleur. »

Le silence pour lui n’est pas un vide, mais une corde tendue, une capacité indéfinie de musique, prise dans le gel ainsi que le Cygne, et qui ne peut bruire.

Le dernier sonnet des Poésies condense avec une admirable pureté ce sentiment qui fait que Mallarmé considère un objet, traite un sujet, en se transportant à la limite où ils cessent d’exister, où ils deviennent absence,