Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/143

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nostalgie, où de leur défaillance ils acquièrent une valeur supérieure de songe.

Ma faim qui d’aucun fruit ici ne se régale
Trouve en leur docte manque une saveur égale ;
Qu’un éclate de chair humain et parfumant.

Le pied sur quelque guivre ou noire amour tisonne,
Je pense plus longtemps peut-être éperdûment
À l’autre, au sein brûlé d’une antique Amazone.

Toujours monte à l’esprit de Mallarmé le problème qui hanta la maturité de Platon : N’y a-t-il pas un être du non-être ? Mais cet être, dans la formule de qui la pensée vivante cherche à triompher de ses conditions logiques, il ne le place point, d’une manière platonicienne, comme une assise ; il le suscite comme un couronnement : il est le mystique du non-être.

D’un tel état, l’intelligence de la rareté, qui y est comprise, ne fait en somme que le plus bas degré. Mallarmé a été reconnaître les dernières limites de l’expression, et son œuvre fragmentaire me fait penser à ces autels que les Grecs d’Alexandre érigèrent, lorsqu’ils ne purent aller plus loin, aux frontières de leur monde.

De ces ordres négatifs impliqués dans sa construction poétique, il a donné, après les Sonnets, une synthèse didactique qu’il faut citer entièrement.

« Autre chose... ce semble que l’épars frémissement d’une page ne veuille sinon surseoir ou palpite d’impatience, à la possibilité d’autre chose.

« Nous savons, captifs d’une formule absolue, que, certes, n’est que ce qui est. Incontinent écarter cependant, sous un prétexte, le leurre, accuserait notre inconséquence, niant le plaisir que nous voulons prendre : car cet au-delà en est l’agent, et le moteur dirais-je si je ne répugnais à opérer, en public, le démontage impie de la fiction et conséquemment du mécanisme littéraire, pour étaler la pièce principale ou rien. Mais, je vénère comment, par une supercherie, on projette, à