Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/166

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au service du discours, est trop apparue comme une éloquence rythmée d’ordre supérieur, et pourtant son aile, la rime, était là, dont le battement mal compris l’appelait à un élément tout fluide.

« Narrer, enseigner, décrire, cela va, et encore qu’à chacun suffirait peut-être pour échanger la pensée humaine, de prendre ou de mettre dans la main d’autrui en silence une pièce de monnaie, l’emploi élémentaire du discours dessert l’universel reportage dont, la littérature exceptée, participe tout entre les genres d’écrits contemporains... Au contraire d’une fonction de numéraire facile et représentatif, comme le traite d’abord la foule, le dire, avant tout, rêve et chant, retrouve chez le Poète, par nécessité constitutive d’un art consacré aux fictions, sa virtualité[1] »,

Tout le symbolisme suivit Mallarmé dans son effort pour se déprendre de la prose. « Une ode de Victor Hugo, dit M. Robert de Souza, est encore un « discours » en trois points ; un poème de Musset un « plaidoyer » ; un autre de Leconte de Lisle une « narration » précise, documentée. On s’est efforcé de donner à la poésie sa valeur d’art particulière, indépendante de toute autre forme d’expression. Là est la découverte certaine, absolue, du symbolisme ». Du symbolisme en tant qu’il descend de Verlaine et de Mallarmé, en tant que par delà le Parnasse il rejoint certaines directions romantiques. Lamartine déjà ne figurait-il pas une tendance vers une poésie pure ? L’Isolement, le Lac, Ischia, ne me paraissent pas si loin de Verlaine, et les Préludes, bien qu’avec un peu de gaucherie, n’expriment-ils pas le besoin moitié poétique et moitié musical du chant pour lui-même ? Jules Lemaître s’étonnait que les symbolistes n’eussent jamais revendiqué comme précurseurs de leur poésie le vers et les images lamartiniens.

Ce qui importe, ce n’est point, sous la forme d’une composition préméditée et balancée, la persistance du

  1. Divagations, p. 250-251