Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/276

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les Parnassiens l’ont amené à une perfection si banale qu’entre les mains des poètes médiocres d’aujourd’hui, il rappelle ce qu’était devenu chez les versificateurs du xviiie siècle l’alexandrin de Boileau.

Mallarmé en a usé avec une grande liberté. On sait qu’il finit par n’écrire presque plus que des sonnets. Mais les poèmes du premier Parnasse, les Fenêtres, les Fleurs, l’Azur, nous le montrent assouplissant la stance quaternaire selon le génie moteur qui est celui de sa poésie, la rejetant sur la stance suivante, la déversant vers le rythme de la terza rima ou celui de sonnets. La limite de l’effort, chez les évadés du Parnasse, Verlaine et Mallarmé, comportait la stance à rejet, analogue au vers à rejet. Rien de plus différent du cadre rigide, de la plastique conventionnelle où Leconte de Lisle enferme la sienne.

De ce point de vue, que l’on compare même sa stance fermée, à l’intérieur de laquelle demeure presque toujours une ondulation et un mouvement, avec la stance des poètes plastiques. Lisez dans Baudelaire celle-ci, d’une perfection rythmique au delà de laquelle il n’y a rien :

Mes baisers sont légers comme ces éphémères
Qui caressent le soir les grands lacs transparents ;
Mais ceux de ton amant creuseront des ornières,
Comme des chariots ou des socs déchirants.

(Femmes Damnées.)

C’est l’élargissement de l’ïambe originel à une unité de cinquante syllabes : commandés par le sujet même, deux vers d’abord qui sont, comme une brève, faits de douceur, avec des allitérations molles et glissantes ; deux vers ensuite qui se renforcent et s’allongent de sonorités graves ; l’apparente faiblesse de la rime féminine devient même un effet saisissant : sur la syllabe accentuée d’ornières, pèse, au contraire de l’effleurement d’éphémères, une main rude, comme sur un soc de charrue. Si c’était le lieu, je montrerais dans cette stance, dans cette